Église, la voie de Dieu : la France compte 52 000 moines et religieuses

Retour sur un article de Valeurs Actuelles (n°3656) paru le 22 décembre 2006, par Bénédicte Fournier. Décapant pour qui s’interroge sur la vocation religieuse.

Le frère Fabien-Marie ouvre la porte. D’un côté, le brouhaha du centre de Paris. De l’autre, des couloirs où glissent sans bruit les sandales des moines, dans un immeuble derrière l’église Saint-Gervais, confiée aux Fraternités monastiques de Jérusalem. Vingt-sept ans et une pointe d’accent alsacien, vêtu de l’habit bleu marine à capuchon et scapulaire, il explique doucement, dans le calme d’un parloir : « La vie monastique, c’est le christianisme intégral. » « Oui, reconnaît-il un peu plus tard, il y a une contradiction avec ce que vit notre société. » Les religieux et religieuses sont de moins en moins nombreux en France. Elles étaient 52 507 en 1998. Six ans plus tard, elles sont 42 648. Ils étaient 10 652 en 1998, 9 409 en 2004. « Les congrégations qui ont le plus de difficultés sont celles qui ont été fondées au XIXe siècle », souvent des congrégations enseignantes ou soignantes, remarque l’évêque de Vannes, Mgr Centène. « Leur charisme, explique-t-il, correspondait à un état social donné, qui n’existe plus aujourd’hui dans nos pays. » Dans le passé, la vie religieuse a aussi pu apparaître « comme une libération de structures familiales et sociales pesantes ». Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Enfin, l’engagement total n’est plus à la mode.

Le père Louis Soltner, père hôtelier à Solesmes, tient cependant à insister sur l’aspect « mystérieux » de ces évolutions. La ferveur d’une communauté ne se mesure pas. La raison ne peut non plus expliquer à elle seule que des jeunes continuent d’entrer dans des communautés, anciennes ou nouvelles, et de prononcer les trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance. « Moines ou Martiens, c’est aujourd’hui un peu la même chose », écrit Samuel Pruvot, qui a rencontré douze religieux et en a fait un livre de conversations (les Citoyens du ciel, Cerf). « C’est avant tout une histoire d’amour », explique le père Jean-Baptiste, chanoine régulier de la Mère de Dieu (www.chanoines-lagrasse.com), communauté fondée en 1969 sur la très ancienne tradition augustinienne, qui compte une trentaine de religieux.

Sœur Samuelle a 30 ans. Elle est entrée aux Fraternités monastiques de Jérusalem à 21 ans, un diplôme d’ébénisterie de l’école Boule en poche. Cette communauté (www.jerusalem.cef.fr), fondée en 1975 pour instaurer une présence monastique au cœur des villes, compte aujourd’hui 80 moines et 120 moniales. Voile blanc sur la tête, habit bleu ciel, comme toutes ses sœurs des Fraternités, elle explique : « La question de la vocation religieuse est née chez moi vers 13 ans puis a cheminé. C’est quelque chose qui dépasse l’entendement humain. C’est un appel au bonheur qui vient de l’extérieur, donc de Dieu, mais qui se perçoit au plus profond de soi-même. On est libre de refuser, mais alors on passe à côté de l’accomplissement du bonheur. »

Le fondement commun de toute vocation, c’est l’appel à faire don de sa personne à Dieu, donc au monde. Pour le reste, les religieux sont à l’image de l’Église : tous différents, mais unis dans la prière. Choisir sa communauté, c’est choisir « une forme que prend l’appel de Dieu pour s’exprimer », dit sœur Samuelle.

Dans la famille de frère Fabien-Marie, on ne pratique pas beaucoup. Il a été baptisé, a suivi le catéchisme, avant de tout laisser tomber. « L’Église de mon village était vieillissante. » Seule subsistait, de temps en temps, la prière. C’est dans la solitude, lorsqu’il s’installe à Strasbourg pour étudier la comptabilité, que les questions essentielles se posent. « Je suis entré un jour dans l’église Saint-Jean, tenue par les Fraternités monastiques de Jérusalem. » Il a fallu un Noël un peu difficile, en famille, après une messe de minuit, pour qu’il reparte brusquement à Strasbourg et rencontre un moine. Alors est apparue la question importante : « Qu’est-ce que je veux pour ma vie ? » Matheux, il explique : « Au milieu de plein de points distants, on peut faire passer une droite. Les points, ce sont tous les signes positifs ou négatifs qui avaient jalonné ma vie. Restait à trouver le chemin de la droite. » À 23 ans, il est finalement entré au noviciat des Fraternités, à Paris.

Les religieuses cisterciennes de Sainte-Marie de Boulaur (www.boulaur.org), dans le Gers, le disent : celles qui les rejoignent viennent pour « n’avoir plus rien de plus cher que le Christ » (règle de saint Benoît). La croissance de cette communauté ne s’explique que par la foi : en 1975, une jeune fille du diocèse, Claire de Castelbajac, décède à 22 ans, après une vie marquée par la joie et la foi, l’apostolat et la maladie. En 1981, l’avenir de la communauté est compromis en raison de son effectif réduit. Les religieuses prient Claire d’intercéder pour que se lèvent de nouvelles vocations. En un an, cinq jeunes filles se sont présentées. Elles sont aujourd’hui trente-deux et ont fondé un prieuré dans l’Aude. La moyenne d’âge des sœurs est de 35 ans.

Ce qui attire les jeunes, selon Mgr Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon, « c’est le retour à une foi qui accepte de s’exposer ». L’habit est un élément important : « C’est un signe de visibilité », dit frère Fabien-Marie.

Les communautés qui attirent peuvent être charismatiques, sensibles à une manifestation joyeuse, extériorisée et fervente de la foi. Elles sont aussi le plus souvent étroitement reliées à une tradition ecclésiale et monastique ancienne. Ces religieux ne se cachent pas d’être avant tout des hommes de prière, attachés à la beauté liturgique et la fidélité aux offices divins, composés de psaumes et de lectures. Mgr Rey le constate : « Il y a un besoin d’affirmation dans un contexte où le catholicisme est minoritaire. C’est très stimulant et ça n’empêche pas l’ouverture. »

Beaucoup de ces communautés s’occupent des pauvres, organisent des séjours de vacances pour les jeunes, accueillent des groupes dans leurs hôtelleries. Les origines des frères et sœurs sont variées. Ainsi, les “petit gris” de la Communauté Saint-Jean (www.stjean.com;) sont de plus en plus nombreux : 530 frères et 460 sœurs sont présents dans le monde entier. Près de la moitié d’entre eux sont originaires d’autres pays d’Europe et du monde.

« Dans un monde sécularisé, matérialiste et consumériste à outrance, les jeunes peuvent être attirés par des communautés dont les exigences sont fortes et qui font appel à leur générosité », ajoute Mgr Centène. De la générosité, il en faut, car le renoncement à notre société n’est pas un chemin facile. Il s’agit, dit frère Fabien-Marie, « d’être dans le monde sans l’esprit du monde ». C’est donc par réalisme que les communautés se donnent une règle de vie et laissent du temps à chacun avant de prononcer définitivement les trois vœux. La vie religieuse commence toujours par une période de postulat, puis de noviciat, marquée par la prise de l’habit religieux. Ce sont des temps de discernement et de formation. Les premiers vœux, temporaires (pour une durée d’environ trois ans, variable selon les communautés et les personnes), sont prononcés après deux ou trois ans au sein de la communauté. C’est seulement après que viennent les vœux définitifs. La vie fraternelle est aussi un élément important, qui permet à chacun de trouver sa place dans un cheminement spirituel exigeant. En fonction des communautés, certaines règles de vie varient. Aux Fraternités monastiques de Jérusalem, les moines et moniales travaillent à mi-temps à l’extérieur de la communauté. « Cela fait partie de notre vocation », explique frère Fabien-Marie, qui exerce son métier de comptable. À Boulaur, les sœurs vivent dans la clôture. Elles exploitent les terres autour de l’abbaye, cultivent céréales et fourrages, élèvent du bétail, ont un verger potager et commercialisent certains de leurs produits.

Au-delà de ces nuances, la règle commune, c’est la vie fraternelle, marquée par la prière. Ces religieux se retrouvent de trois à sept fois par jour pour chanter et dire les offices, faire oraison en priant silencieusement et assister à la messe. Le moine se lève à l’aube, parfois dans la nuit, pour chanter l’office. Le premier de la journée est celui des laudes. Les offices, dits seul ou en communauté, ponctuent ensuite chaque moment de la journée : la prière interrompt le travail, précède et suit les repas. Les vêpres marquent la fin du jour et les complies sont dites pour entamer le grand silence de la nuit. Les religieux prennent aussi leurs repas ensemble, le plus souvent dans le silence, en écoutant une lecture. Chacun rend service à sa mesure et passe du temps dans sa cellule pour prier et étudier. « La vie communautaire est un équilibre qui permet d’avancer. Elle n’est pas faite pour combler la solitude, raconte frère Fabien-Marie, car nous ne sommes pas seuls, nous vivons avec Dieu. »

Alors, oui, le renoncement existe. « Mais comme dans tout engagement, remarque sœur Samuelle. Nous perdons ce qu’il y a de superficiel dans le monde : les mondanités, mais pas l’essentiel. Ces petits renoncements ne sont pas difficiles. Ça peut être plus dur de renoncer à avoir des enfants, mais le don que Dieu fait est si grand qu’il assume ce renoncement d’une autre manière. Il existe une maternité et une fécondité qui s’exercent dans le soutien que nous apportons au monde par la prière. » B. F.

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