Inspiré d’un petit livre de François Garagnon (Jade et les sacrés mystères de la vie). A lire de tout urgence, malgré sa longueur !
L’atmosphère matérialiste et consumériste qui enveloppe le monde moderne a tendance à nous faire vivre dans une succession d’instants éphémères et de petits bonheurs manifestant la primauté du plaisir immédiat sur des bonheurs plus parfaits mais qui exigent. Les jeunes gens sont plus attirés par la séduction de tous les possibles que par un engagement durable qui suppose un don de soi et une constance.
Dans ses prémices, l’amour repose sur une intuition ténue : comment saurait-on engager sa vie sur des bases aussi fragiles ? La question est donc de savoir si l’amour doit être expérimental ou une sorte de pari sur l’avenir.
Le narcissisme qu’encouragent les thèses de l’épanouissement personnel, le nomadisme que suscitent les déplacements fréquents, l’ère du temps libre, tout cela fait que nous avons de plus en plus de mal à nous situer dans une continuité. Le travail n’est plus bâti en tant que carrière, tout se passe comme si la vie moderne était une série de séquences se côtoyant sans beaucoup de logique. D’où le désarroi actuel lorsqu’il est question de restaurer le principe même de la relation (image de l’amour donnée par la société essentiellement orientée vers la sexualité). L’éducation sexuelle devrait s’accompagner d’exercices d’hygiène relationnelle et d’une approche holistique (corps, âme, coeur) des harmonies de l’être.
Dans ce contexte désenchanté, il s’agit un peu d’un paradis perdu à reconquérir. Au fond l’amour durable constitue l’anticonformisme par excellence. Mais d’où vient cette inclination de vouloir associer l’inconciliable. L’intensité et la durée ? L’amour fou et le grand amour ? Dans son interprétation médiatique, l’amour est présenté comme un jeu et un plaisir (passion, fulgurance amoureuse sans cesse recommencée), non comme un travail sur soi ou comme un art. Le temps si vite oublié est pourtant le grand sculpteur de l’amour. L’amour tout de suite a plus de prétendants que l’amour toujours. Les couples qui durent ont maintenant une image plutôt terne, car synonyme de convenances.
Il est manifeste que l’intensité émotive prime toujours sur la fidélité du coeur. La première est très attractive, la seconde plus sobre, non sans éclat mais dont chacun s’acharne à pourfendre la routine. De fait il faut le dire d’emblée : en amour, ce n’est pas le record de durée que nous devons viser, mais la qualité d’une relation telle que nous l’inscrivons dans le temps. L’Amour est victorieux non pas pour avoir « tenu » un certain nombre d’années, de conflits ou d’épreuves mais bien parce que on a cherché à revivifier sans cesse la relation, à l’approfondir et à en respecter les délicatesses, à en renforcer les connivences. A cultiver ce qui rend l’autre unique et proprement irremplaçable. L’Amour n’est unique que si nous le considérons comme tel. L’amour est autre chose que la fidélité et le devoir même s’il ne récuse pas ces notions, il doit en retenir plus l’esprit que la lettre ; il est attention constante pour maintenir la relation vivante, un langage pratiqué chaque jour et non une langue morte, certes respectable mais peu en rapport avec l’authentique trésor que peut délivrer un amour patient, prodigue et attentif. C’est le désir constant de l’être humain et cependant rien n’est plus difficile d’aimer, c’est-à-dire de poursuivre un élan du coeur dans une authenticité et une fidélité, un idéal, dans un réalisme quotidien, ce qui peut paraître antagonique.
Si l’on pouvait quantifier l’amour, le garantir, le mettre en formule, l’inscrire dans des courbes prévisionnelles ou l’affubler d’une « assurance-vie », comment oserait-on encore l’appeler amour ? L’amour est une aventure, probablement la plus grande puisqu’il engage tout notre être, et que nous pouvons y périr corps et biens.
La plus belle manière de se hausser au-dessus de soi-même, de transcender le cours de sa destinée, de s’ouvrir et de s’offrir à l’imprévisible dans un élan d’une folle générosité. Oui, le pari de l’amour durable a un côté parfaitement extravagant !
Habituellement lorsqu’on s’engage à long terme, on se renseigne, on compare, on prend des garanties mais les choses du coeur ne sauraient reposer sur la seule logique contractuelle: il faut y introduire de la générosité, du don de soi, de la confiance inconditionnelle, en somme une logique d’alliance. Il est alors question de faire équipage, de rester unis dans la tempête, de ne pas lâcher le bateau ou dépasser son temps à geindre sur les erreurs de navigations de l’autre. Il s’agit de se sentir respectueux, solidaire et co-responsable d’une vie en commun, surtout lorsque naissent les contrariétés. L’amour, on l’oublie trop souvent, repose sur une mise en commun, un partage, sans quoi ce n’est pas d’amour qu’il faut parler mais de la coexistence de deux égoïsmes.
Pour s’inscrire dans la durée, il manque souvent à l’amour, une générosité, une gratuité et un effacement. Ce n’est pas qu’une partie de plaisir, c’est une chose grave aussi : face à la séduction des possibles, l’engagement est contrariant, parce qu’il nous place en situation de devoir et réduit notre liberté. D’où la difficulté qu’ont tous les jeunes gens d’inscrire une relation dans la durée : il y a tant de choses à vivre dans des situations tellement différentes et avec tant de gens passionnants ! Et de fait, il faut un temps pour tout et un bon signe d’élan vital mais qui prépare aussi à bien des déconvenues (période étudiante…). Ce n’est pas interdit de se retourner sur le passage d’une jolie fille mais si le passage devient rencontre, on se doit de considérer que toute relation est engageante, qu’elle se joue sur un respect mutuel, et que rien de ce que l’on vit n’est anodin ou inconséquent. « On ne badine pas avec l’amour ! ».
On ne le décrète pas durable, on le découvre tel à la faveur de circonstances. Il ne s’agit pas d’un effet de la volonté (même si notre libre-arbitre réclame notre choix ou un assentiment), il ne s’agit pas non plus d’une fatalité : c’est un juste équilibre entre des circonstances extérieures favorables et une prédisposition intérieure. Une correspondance en quelque sorte entre ce qui advient au-dehors et ce qui se passe au-dedans. Ainsi l’amour durable instaure un art d’aimer qui se traduit par un équilibre de vie. La fidélité est l’option du don de soi ! On ne reprend pas ce que l’on a donné ! Cela s’appelle aussi le sens de l’honneur et l’on en se perd jamais en se donnant en actes et en vérité.
C’est lorsque la confiance est conditionnelle que les soucis arrivent. L’éventualité d’une mésalliance prouve que l’on n’est pas sûr de la force de son amour. L’amour est un peu semblable au proverbe français sur les auberges espagnoles : on y trouve ce qu’on y apporte. C’est parce que nous mettons de la folie, de la passion dans nos choix, que nous sommes d’emblée capables de remporter ce pari de l’amour durable ! Que serait la pureté d’un engagement si l’on commençait, avant même d’y entrer, à étudier les issues de secours ? « Que ton oui soit oui; que ton non soit non ; je vomis les tièdes » est-il écrit sans ambages dans la Bible.
Lorsque la confiance n’est pas totale, lorsqu’une retenue nous anime, alors il peut être utile de s’interroger par-delà l’élan amoureux ou passionnel sur l’exacte portée de ses sentiments. Molière disait haïr les « coeurs pusillanimes, qui pour trop prévoir la suite des choses, n’osent rien entreprendre ». L’absence de confiance en soi attire l’échec et on peut finir par donner réalité à cela même que l’on redoute. A y bien réfléchir, n’avons nous pas tous, peu ou prou, cette fâcheuse tendance à compliquer de mystères, de craintes, de vaines prévisions, ce qui n’est que le simple fil de la vie ? Ne sommes-nous pas tous, à un moment ou à un autre en déficit de confiance ?
Ce qui altère ou même gâche les chances d’établir un amour durable :
** La méprise sur l’amour
Ce n’est pas une mise en cage de nos sentiments mais au contraire un élan en actes et en vérité. Attention à l’infantilisation de l’amour ! (Variation sentimentales fleurs bleues dans certaines chansons et films).
** Le contexte matériel
Tout conspire à rendre éphémères les objets qui peuplent notre quotidien. Quoi qu’on en dise, ce contexte lié aux choses matérielles crée un état d’esprit : notre rapport au monde a changé. Et insensiblement, notre rapport aux autres s’en trouve profondément modifié. Nous avons un désir d’immédiateté qui empêche la maturation si chère à nos ancêtres.
** La fragilisation des êtres
Elle peut être abordée sous trois aspects :
– Excès de psychologisme : tout dépend de la dose à laquelle on utilise la psychologie, elle devient une faiblesse lorsque l’homme moderne est amené à se poser des questions à tout bout de champ et cherche à avoir réponse à tout.
– Le sentiment de précarité
Il n’est pas un itinéraire professionnel aujourd’hui qui puisse se dire à l’abri d’un retournement de situation, tant la mobilité du réel est imprévisible, les mutations nombreuses. Sur ces sables mouvants, il semble difficile de construire durablement. On navigue à vue, la vie de couple en pâtit nécessairement.
– La vulnérabilité
C’est l’un des paradoxes de notre temps : nous sommes de plus en plus protégés et de moins en moins aguerris. Quand l’adversité survient sous forme d’accident, d’épreuve, de problématique insistante, notre premier réflexe est la stupéfaction, l’incrédulité et l’accablement.
** Le romantisme
Il célèbre pourtant la délicatesse des élans de coeur, mais a entraîné une confusion des sentiments en développant l’utopie de l’amour fusion comme un idéal.
** Le monde ne sort pas grandi d’avoir ouvert l’amour non vers un engagement mais vers une expérience.
La foi, l’amour, les sentiments en général sont invisibles et l’on a fini par en mésestimer les effets pourtant très intimement liés à la valeur et au sens de notre vie. Dans un lien entre deux êtres, il y a toute cette part d’invisible qui fait l’unique de la relation. Mais cette relation ne saurait en aucun cas être enfermée dans un mode d’emploi !
Ce que nous avons du mal à accepter, c’est que l’amour se transforme, qu’il soit protéiforme et qu’en conséquence, nous ne saurions prétendre en avoir une claire maîtrise. Voilà bien l’idée redoutable : l’amour ne peut subsister – au grand dam de Don Juan et de ses dames – dans l’intensité des premiers ravissements. L’ennemi juré de l’amoureux est la routine. Mais il ne faut pas se méprendre sur la routine ! Est routinier ce que l’on fait sans réfléchir ou sans y apporter d’importance. L’amour réclame une attention constante, une restauration permanente, un réajustement régulier. L’usure des jours est une usure de l’esprit : ce n’est pas la répétition d’un geste qui en enlève la valeur, c’est notre difficulté à renouveler le regard que nous portons sur l’autre, sur les autres. « Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas : accusez vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses » disait le poète Rilke.
Une complicité unique ne peut naître qu’avec le temps ! « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui rend ta rose si importante » dit le Petit Prince de Saint Exupéry. L’amour durable réserve une joie durable, des plaisirs intenses parce qu’il s’inscrit dans une connivence qui se mûrit lentement et au fil du temps, une complicité avec laquelle aucune relation nouvelle ne saurait rivaliser. Tant d’instants, tant de gestes, d’alternances du coeur, tant d’intensités émotives, tant de rebondissements, d’imprévus, d’éloignements et de réconciliations – en un mot tant d’émotions fortes !
La fidélité est un lien d’une puissance insoupçonnée ! Le temps si souvent redouté comme l’ennemi d’une relation devient soudain un allié. A son plus haut degré, l’amour doit être un mélange d’action et de contemplation, d’enracinement et d’envol, tous les couples d’une certaine ancienneté s’accordent à dire que la volonté d’union nécessite de prendre sur soi et cela malgré une très bonne communication. Le couple est un équilibre fragile entre deux contraires qui se complètent. Etre jardinier de l’amour, entrer dans l’harmonie de l’autre avec délicatesse, ne pas piétiner…
Thèmes fondamentaux de l’amour durable :
la confiance
le respect
le juste équilibre
la fidélité
l’attention
le désir d’être.
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