La routine apparaît à certains comme un danger grave et permanent à éviter à tout prix dans un couple : en l’engluant dans le quotidien, elle lui boucherait l’horizon, saperait les grands élans, les grandes capacités et le moral jusqu’à inévitablement tuer l’amour. Par Béatrice B.

Or, rien n’est plus faux. La routine est au contraire un point d’ancrage, qui permet de se cramponner à la réalité de tous les jours et d’éviter ainsi les raz de marée qui emportent tout. Dans les désarrois inévitables, elle est comme un phare qui montre le chemin. En effet remplir sa feuille d’impôts ou ranger la cuisine permet, outre d’avancer dans des tâches inévitables, vitales et obligatoires, de réfléchir, d’oublier la petite phrase assassine, de relativiser, de trouver une détente d’où émergera une solution au problème rencontré. Cela permet de baliser la vie, avec à heures fixes des activités où l’on se retrouve, de construire des repères communs qui donnent des certitudes, avec par exemple la prière du soir, les courses ou le jogging de la semaine. Cela permet aussi de montrer à l’autre son amour : Verlaine n’a-t-il pas écrit ceci : « La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles est une œuvre de choix qui vaut beaucoup d’amour. » ? D’ailleurs quelqu’un d’autre a carrément dit que la vie routinière était héroïque. Alors, quand nous disons détester la routine, n’est ce pas tout simplement une forme de snobisme ? Fuir la routine est à la mode. C’est un cliché médiatique, un cliché à succès, mais au fond ?

Quand nous prétendons que nous avons absolument besoin d’en sortir, d’aller faire de la randonnée en Patagonie, d’avoir des sensations fortes, de changer de partenaire parce que « on ne se parle plus », n’est-ce pas que nous vivons une époque qui ne connaît plus le simple courage, car supporter la routine n’est-ce pas tout simplement avoir du courage ? Et quand on n’a plus rien à se dire, ce qui arrive, la routine n’est-elle pas une fidélité, un moyen de dire à l’autre « tu vois, je reste fidèle, je continue quoi qu’il arrive… » Et si au bout du compte dans certains cas la routine permettait au contraire de recharger ses batteries, de retrouver l’inspiration qui va donner un nouvel élan et permettre de repartir d’un meilleur pied ? Notre corps d’ailleurs observe une certaine routine : nous dormons et nous mangeons à intervalles réguliers. Un bébé prend six repas par jour. Personne n’a jamais renoncé à se laver le matin sous prétexte que c’était routinier. Et l’entraînement sportif, musical ? Notre cerveau aussi, a besoin de routine. Pour l’apprentissage des mathématiques, des langues… L’éducation, c’est assez routinier, répétitif. Et pourquoi notre esprit, notre âme, n’auraient-ils pas besoin eux aussi de routine ? Les sacrements, pour les croyants, ne sont-ils pas une magnifique routine, source de renouveau ?… Le petit Prince, de Saint-Exupéry, a besoin d’une certaine routine pour apprivoiser le renard. La routine, c’est un rite. D’ailleurs pourquoi dit-on bonjour à tout le monde, le matin ?… A son mari, sa femme, ses parents, ses enfants, ses voisins, le boulanger, le clodo du coin, la caissière de prisunic, son boss, ses collègues, son prof, son facteur ?… C’est que ce simple mot, tellement routinier en apparence, a une bien plus grande signification que celle qu’on lui donne. Il est porteur de reconnaissance, de stabilité, de durée. Essayez donc de ne plus dire bonjour à personne pour éviter la routine, et vous verrez…

Non, ne fuyons pas la routine, car au fond, non seulement elle est bonne mais de plus nous en avons besoin. Elle est aussi un cadre qui nous discipline et permet à notre liberté, qui est de faire ce que nous avons à faire, de mieux s’exercer. En amour comme en amitié, en famille ou au travail, dans la vie de tous les jours, loin de borner notre horizon, elle le construit, et ménage de belles échappées, de belles perspectives, par tout ce qu’elle signifie, et qui, sans elle, pourraient bien ne jamais se produire. La routine vécue positivement, c’est dynamique, ça peut décoiffer. Egalement dans un couple.

Encore un mot...
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