
Dans un très long article intitulé « Percée évangélique en France » publié chez Slate, l’ancien journaliste religieux du Monde, Henri Tincq, tire la sonnette d’alarme et explique les raisons de cette croissance. Mais, semble-t-il, sans vraiment se rendre compte que cela peut être une chance pour l’Eglise catholique et notre mission première, l’évangélisation. Doit-on avoir peur des évangéliques ? Extraits commentés.
Des communautés très missionnaires
« Ce sont des communautés où prospèrent les missionnaires, prophètes ou guérisseurs africains ou antillais, constate Henri Tincq. Où le culte est festif, convivial, exubérant. Aux prédications succèdent les séances de guérisons. On y chante des hymnes et des louanges, on prie, on danse. (…) Paris compte des Tamouls aussi bien que des Brésiliens évangéliques. Des communautés évangéliques chinoises sont désormais plus nombreuses que les communautés protestantes traditionnelles. Si les Africains et Antillais sont les mieux représentés, on ne saurait sous-estimer le poids des Eglises évangéliques laotiennes, vietnamiennes, coréennes, etc… Implantée en France, l’Eglise évangélique coréenne, dite « de toutes les nations», envoie déjà des missionnaires francophones au Burkina Faso. »
La cause de ce succès : l’évangélisation
Tincq donne les vraies raisons : « Leur succès tient à l’accueil offert à des communautés de personnes déracinées, à qui sont proposées des réunions de prière, d’évangélisation, de formation biblique, de missions. Ces nouvelles Eglises répondent à des besoins de consolation, de convivialité, de guérison. (…) Leur croissance s’explique par cette forte dimension communautaire, mais aussi par le dynamisme de leurs réseaux missionnaires. Charisma propose des campagnes d’évangélisation dans Paris sous le nom martial d’« Opération invasion ». Elle s’explique aussi par le charisme propre au « pasteur » autoproclamé qui est à la fois animateur de communauté, prédicateur, exorciste, thérapeute, par les liturgies chaleureuses sans commune mesure avec l’austérité des célébrations catholiques ou protestantes traditionnelles. »
Une lecture de la Bible « plutôt fondamentaliste »
« La lecture de la Bible y est plutôt fondamentaliste. La vision de la société y est fondée sur des valeurs familiales ou sexuelles très conservatrices. La vision du monde est binaire : elle comprend, d’un côté, les purs ou les forces du bien et, de l’autre, les corrompus ou les forces du mal. « C’est une spiritualité très marquée par la culture vidéo, observe Sébastien Fath, sociologue au CNRS. Paris et la banlieue sont divisées en territoires à évangéliser selon qu’ils appartiennent à Dieu ou à Satan et où se livre une vraie guerre spirituelle». »
Sans tomber dans le manichéisme géographique, ne tombons pas non plus dans le relativisme ambiant selon lequel « tout le monde il est beau il est gentil, Dieu est partout, même dans les petites choses pas belles »… Le chrétien ne peut faire l’économie de la Croix, et ce n’est pas une constatation binaire ! Le combat est tout de même bien réel, nous n’y échapperons pas.
« Ces nouvelles Eglises d’immigration auraient déjà rallié en quelques années plus de 50.000 fidèles, poursuit Henri Tincq. Elles progressent désormais plus vite que les évangéliques d’implantation plus ancienne, comme les Assemblées de Dieu (200.000 personnes), appartenant au courant « pentecôtiste », qui pratique le « parler en langues », suite de mots et de sons inarticulés qui enfle pour invoquer l’Esprit saint. »
Désigner le chant en langues par des sons inarticulés montre de la part de notre journaliste une certaine méconnaissance de ce charisme, pourtant reconnu par l’Eglise. Par ailleurs, l’Esprit Saint est quand-même le premier protagoniste de l’évangélisation, d’où la nécessité de l’invoquer constamment si nous voulons porter du fruit. Et porter du fruit, c’est bien ce qu’ils font, semble-t-il, même si nous trouvons cela perfectible spirituellement.
« Parmi les évangéliques d’implantation plus ancienne, citons encore la Mission Evangélique tsigane, depuis longtemps associée à la Fédération protestante de France, ainsi que les Eglises du courant « piétiste orthodoxe » (200.000), les baptistes, les méthodistes, les darbystes, les libristes, l’Armée du salut, etc…, qui se distinguent par une allergie à toute effervescence dans le culte et une sorte de piété austère, une discipline morale proche de l’ascèse, la prédication d’une saine doctrine biblique, de forts engagements missionnaires et sociaux. »
Citant encore Sébastien Fath, Tincq explique aussi que « la surreprésentation des évangéliques chez les pratiquants protestants s’explique par l’accent mis sur l’épanouissement individuel que procure la foi en Jésus-Christ et par la chaleur de communautés où l’utopie chrétienne de « frères et sœurs » prend un sens très concret ».
La question se pose donc de savoir si les paroisses catholiques n’auraient pas quelque chose à apprendre de cette « chaleur », de cet accueil chrétien bien présent chez les évangéliques. Henri Tincq aurait pu citer aussi notre confrère Patrice de Plunkett pour sa fabuleuse enquête intitulée Les évangéliques à la conquête du monde » (lire notre interview). Le journal La Vie, dans son dernier numéro portant aussi sur les évangéliques, n’a pas non plus osé en parler, semble-t-il. Preuve qu’elle dérange ?
Quelques poncifs d’un autre âge
Autre bémol à cet article : les clichés habituels du journaliste que nous connaissions au Monde reviennent en force. Il s’agit forcément de positions « très conservatrices » (« Leur vision de la société y est fondée sur des valeurs familiales ou sexuelles très conservatrices »), alors qu’elles sont en réalité très proches de celle de l’Eglise catholique, surtout sur les questions morales.
Plus ennuyeux, il accuse l’Eglise catholique d’intransigeance, autrement dit, d’intolérance : évangélique aussi, « le Comité protestant pour la défense de la dignité humaine (CPDH). Il fonctionne en France sur le modèle de la droite religieuse américaine et prône le droit absolu à la vie, le rejet de l’homosexualité, de l’avortement, de la recherche sur les cellules souches d’embryon. (…) Proches aussi de la ligne intransigeante du magistère de l’Eglise catholique, ces thématiques ont été longtemps étrangères à la culture évangélique en France. On les trouve aujourd’hui mises en œuvre dans des réseaux évangéliques toutefois minoritaires. »
L’ancien journaliste religieux du Monde semble rassuré par le fait que ces groupes « intransigeants » soient encore minoritaires, puisqu’il s’agit forcément de « droite religieuse ». Rappelons tout de même les mots du cardinal Decourtray, dont nous pouvons nous inspirer sur cette question : « ma sensibilité n’est ni de droite, ni de gauche, elle est évangélique ». Sous-entendu, suivre l’Evangile est le meilleur programme politique que nous puissions adopter ? La tolérance, vertu chrétienne, est peut-être aussi du côté de l’évangélisation, comme dans ce dernier ordre que le Christ nous donne dans la finale de l’Evangile de Matthieu : « Allez par toutes les nations, faites des disciples, et baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ». (Mt 28,19).
Une évangélisation méchante ?
Sur cette question de l’évangélisation, le sous-entendu très esprit du monde selon lequel la religion doit se cantonner à la sphère privée par respect des personnes – fausse tolérance – est bien présent : chez les évangéliques, « le prosélytisme y est actif ». Remarquez au passage que selon cet esprit, aller tracter pour un parti politique sur une place de marché n’est pas du prosélytisme, alors que proposer une rencontre avec le Christ, si !
« Le courant évangélique est aujourd’hui le fer de lance du protestantisme pratiquant, conclut Henri Tincq, rassuré mais toujours inquiet. Le protestantisme français, dit le sociologue Jean-Paul Willaime, en forgeant un néologisme à partir de l’américain, est en train de « s’évangelicaliser« . »
Et si l’Eglise de France, elle aussi, était en train de s’« évangélicaliser », en réfléchissant par exemple à sa visibilité, comme c’est le cas en ce moment même avec le travail de la commission présidée par Mgr Dagens et présentée à Lourdes pour l’assemblée plénière des évêques de France ? Et si l’Eglise de France était en train de s’« évangélicaliser », très pratiquement, en s’inspirant et en adaptant certaines méthodes d’évangélisation made in évangéliques ? C’est le cas par exemple avec le Lyon Centre de Glorious, concept né dans une paroisse évangélique d’Australie puis adapté, dont je parle dans mon enquête Dieu est de retour, la nouvelle évangélisation de la France (cf www.dieuestderetour.com).
Dans ce livre, j’interroge aussi l’ancien pasteur évangélique Richard Borgman sur le thème « évangéliser les évangéliques » (lire ici), un entretien qui a fait grand bruit… chez les évangéliques !
Une question demeure également : ne devons-nous pas les évangéliser eux aussi, pour qu’ils rentrent à la maison, à la manière des Anglicans, plutôt que de s’alarmer – sans se réjouir – de leur progression constante et de leur feu pour la conquête des âmes à Christ ?
Laisser un commentaire