A quelques jours de la Saint Valentin, nous vous proposons une prédication du Père Jean-Luc Leroux, Oblat de St-François-de-Sales.
L’Eglise nous invite aujourd’hui à célébrer la Croix glorieuse du Christ. Nous sommes ici résolument dans une perspective salésienne. Par sa mort et sa résurrection, Jésus réconcilie par amour le monde avec son Père. Jésus redonne sa vie à son Père dans un acte d’amour. Cette vie est accueillie par Dieu pour être glorifiée et nous entraîner dans une même glorification. L’évangéliste Jean, nous l’avons entendu au début de cette célébration, nous le dit explicitement :
« Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique : ainsi tout homme qui croit en lui ne périra pas, mais il obtiendra la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » (1)
Voici réaffirmée, sans ambiguïté, la mission de Jésus, le Fils bien-aimé. A travers la Croix nous célébrons une victoire, celle de l’Amour sur le mal, les ténèbres. Et nous sommes invités à nous convertir à cet amour. Le chrétien ne peut pas faire l’économie de cette Croix qui est le lieu suprême de l’amour incarné. Il doit passer par la Croix pour découvrir la vraie Vie.
Le début de cette aventure commence à Cana où déjà se manifeste l’Amour infini de Dieu. A travers le dialogue à Cana entre Jésus et Marie nous découvrons le langage de cet Amour. Laissons François de Sales commenter ce dialogue :
« Lorsque la Sainte Vierge, aux noces de Cana en Galilée, dit à Notre Seigneur avec tant d’humilité et charité que le vin était failli, il la rejeta, lui répondant : Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? Pourquoi te mêles-tu de cela, qu’en ai-je à faire ? (…) Cette réponse semble bien rude et rigoureuse à ceux qui n’entendent pas le langage de l’amour. » (2)
Il peut y avoir deux interprétions de la réponse de Jésus. Aujourd’hui, ceux qui étudient les textes bibliques, l’Ecriture, les exégètes, interprètent la réponse de Jésus comme une affirmation de sa divinité, sa réponse manifestant qu’il prend alors ses distances avec la démarche humaine de Marie.
François de Sales, lui, en fait une interprétation spirituelle. Mais exégètes et maîtres spirituels se retrouvent sur un point essentiel. La réponse de Jésus à Marie, qui se concrétisera par le miracle de l’eau changée en vin, veut nous inviter à regarder ici Jésus dans sa divinité. Dans la réponse donnée par Jésus, Marie est maintenant regardée non plus comme mère mais comme disciple. Jésus manifeste ainsi qu’il va agir comme Fils de Dieu, comme son envoyé, comme le dit le prophète Malachie : « Voici que je vais envoyer mon messager pour qu’il fraye un chemin devant moi. Et soudain il entrera dans son sanctuaire. » (3)
François de Sales continue son interprétation spirituelle : « La Sacrée Vierge, qui savait ce que c’est d’aimer, entendit bien ce que son Fils voulait dire, car elle était toute faite à son langage. (…) Elle ne s’étonna donc point de ces paroles par lesquelles il paraissait l’éconduire de sa demande, mais elle crût qu’il ferait tout ce qu’elle désirait, et pleine de confiance, elle donna cet ordre aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira. Comme si elle eut voulu signifier : Si vous avez pris garde à la réponse de mon Fils, vous penserez peut-être qu’elle est bien sévère et qu’il veut m’éconduire ; mais il n’en est pas ainsi, je sais qu’il veut faire tout ce que je voudrai, ne craignez rien, je suis assurée qu’il m’exaucera. Ces paroles qui en apparence semblent dures, sont les plus douces et obligeantes qu’un cœur amoureux puisse dire à une âme amoureuse. » (4)
Et François de conclure : « Voilà donc comme l’amour a un certain langage que nul ne peut entendre que ceux qui savent que c’est qu’aimer. » (4)
Ce langage de l’amour passe par la Croix. Quand Marie dit aux serviteurs « Faites tout ce qu’il vous dira », elle nous invite maintenant à tourner résolument notre vie vers son Fils, à nous mettre à l’écoute de sa parole et de sa vie et à conformer notre propre existence à la sienne. C’est ce que Marie elle-même fera. Pour Jésus elle est devenue disciple. Quand un jour ses disciples lui diront :
« Ta mère et tes frères se tiennent dehors et veulent te voir », Jésus leur répondra : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique. » (5)
Ecouter et mettre en pratique la parole de Dieu. Cette parole de Dieu incarnée en Jésus est une parole en acte et l’acte suprême de la vie de Jésus est sa mort en Croix qui ouvre les portes de la Résurrection. Ce chemin de Jésus est le chemin de tout chrétien.
« Si quelqu’un veut venir à ma suite, dit Jésus, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la trouvera. » (6)
Se renier soi-même est la première condition pour partir à la suite de Jésus. Il s’agit ici de la première démarche fondamentale de tout homme en quête de Dieu. Se convertir, tourner son cœur vers le Seigneur, se libérant de tous les esclavages qui ne font que nous tourner vers nous-mêmes et non vers Dieu et nos frères. Cette démarche de conversion, Jésus ne cesse de nous y inviter. Combien de fois dans l’évangile, quand un homme ou une femme se convertit en reconnaissant en Jésus le vrai chemin de vie, celui-ci constate alors cette conversion et l’invite alors résolument à avancer. C’est à travers un acte de foi confiant en Jésus et à travers lui en l’amour infini de son Père que s’opère toute conversion. Alors Jésus peut dire : à l’aveugle de Jéricho : « Va, ta foi t’a sauvé. » (7) ou à la pécheresse pardonnée et aimante : » Ta foi t’a sauvée ; va en paix. » (8) ou encore simplement ouvrir ses bras pour accueillir le retour du fils perdu. (9)
François de Sales ne cesse d’inviter à cette dynamique de la conversion. Il a une telle image de la grandeur de l’homme aimé et créé par Dieu à sa ressemblance qu’il sait que l’homme, tout homme et tous les hommes sont destinés à la sainteté. C’est un point fort de sa spiritualité, l’appel universel à la sainteté. Avec lui, nous découvrons, en le vivant qu’être disciple de Jésus-Christ n’est pas se charger d’un carcan ou prendre une route exceptionnelle praticable seulement à des êtres d’élite, en marge des autres. Etre disciple de Jésus-Christ est réaliser en nous, dans une conversion sans cesse renouvelée, un « être plus » (10) Qu’est-ce que cet « être plus », sinon nous laisser modeler intérieurement par le Christ en le laissant nous habiter pour mieux témoigner de son amour ? Et ceci chacun d’entre nous peut le réaliser, personne n’en est exclu. Dans le cadre de notre vie ordinaire de chaque jour, à travers la douceur de l’amitié divine et humaine que nous pouvons expérimenter, comme à travers la diversité de nos engagements et des évènements, si nous vivons en nous à chaque instant la prière du cœur, qui est toujours un dialogue confiant et amoureux avec Dieu, cet « être plus » se réalise au cœur de notre cœur. C’est tout simplement le chemin de l’intériorité, de la vie spirituelle intérieure qui permet à l’Esprit d’amour de façonner en nous l’image même du Christ. Pour cela il faut toujours nous déposséder de nous-mêmes, nous convertir, pour nous laisser habiter par le Christ. Petit à petit les fruits s’en font sentir concrètement et évangéliquement. A l’école et à la suite de Jésus, comme il s’est défini lui-même, nous pouvons devenir doux et humble de cœur.
« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug, de ma croix, et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est aisé et mon fardeau léger. » (11)
La conversion nous conduit tout naturellement à nous charger de la croix. Nos vies sont quotidiennement parsemées de croix dressées sur nos pas, cette pesanteur de notre corps, de notre âme et de notre corps qui empêchent l’amour de jaillir de nos vies. Cette pesanteur s’appelle repli sur soi-même, orgueil, égoïsme, amour-propre, jouissance, avidité, jalousie, possession, haine, etc. Parce que nous sommes marqués par le péché, parce que le mal est présent dans le monde, cette pesanteur est toujours là présente, active, nous entraînant trop souvent là où nous ne voulons pas. Prendre sa croix est alors avoir la volonté de nous libérer de cette pesanteur par un travail continuel sur nous-mêmes, que la tradition chrétienne appelle le combat spirituel. Le combat spirituel fait partie de la vie chrétienne. Il ne s’agit pas de se battre farouchement et de ferrailler contre le mal, il s’agit beaucoup plus de nous laisser pénétrer par l’amour et la charité du Christ qui, dominant alors en nous, repoussent le mal hors de notre cœur. L’option salésienne est de parier résolument sur l’amour, de faire confiance en Dieu qui nous aime infiniment et qui ne veut que notre véritable bien. Risquer le pari de l’amour, c’est ce qui peut le plus nous changer intérieurement et en même temps changer le monde entier. C’est le fondement de ce qu’on appelle l’optimisme salésien. Rien ne fait aller plus loin que l’Amour authentique, tel qu’il sort en Jésus du cœur de Dieu.
Cet optimisme centré sur l’amour nous fait alors épouser la Croix. La Croix est le pari fou, total, gratuit de Dieu sur l’amour. La Croix ne se comprend que par et dans ce don d’amour de Jésus de sa vie pour Celui qui est tout Amour, le Père éternel. Par la Croix, par Jésus abandonné sur la Croix, se réalise la merveilleuse réconciliation de Dieu avec toute l’humanité, avec chacun d’entre nous. Nous sommes redevenus des Vivants et notre vie maintenant est marquée par la Résurrection. Il nous faut alors vivre en ressuscités, en vivants d’amour, pour démentir ce que Nietzsche reprochait aux chrétiens. « Comment voulez-vous, disait-il, que je crois en Dieu, en son Amour, alors que les chrétiens n’ont pas des visages de ressuscités ! » (12)
Avoir un visage de ressuscité, c’est se savoir définitivement sauvé par l’Amour. Le chemin nous l’avons vu commence par la conversion de notre cœur et de notre vie en devenant doux et humble de cœur comme Jésus. Ce chemin se poursuit dans le quotidien de nos vies dont nous portons chaque croix par amour. C’est un chemin de dépassement qui demande que concrètement le témoignage de nos actes. L’amour de Dieu est toujours pure illusion s’il ne se traduit pas dans des gestes concrets en amour du prochain. La charité est fausse si elle n’est pas justice et vérité. C’est quand le chrétien se dépasse lui-même en se dévouant pour ses frères que l’œuvre d’amour et de salut se continue. Il s’agit tout simplement de délivrer l’homme de tout ce qui l’opprime et de l’éveiller à sa dignité de fils de Dieu. Seul l’amour cloué en croix le réalise encore aujourd’hui à travers nos vies. Nos vies deviennent alors charité envers nos frères et humilité devant Dieu.
« La charité est le couvert et le toit de tout l’édifice de la perfection chrétienne, dit François de Sales, et l’humilité en est le fondement, de sorte qu’elle vient en l’âme avant la charité pour lui préparer le logis. » (13)
C’est parce qu’à Cana, comme depuis toujours, Marie était toute en humilité devant Dieu qu’elle pouvait inviter son fils à étancher la soif des invités au repas de noces. C’est encore aujourd’hui la soif de nos cœurs que Jésus vient étancher quand l’Esprit nous comble de son amour et que son pain partagé dans l’eucharistie apaise la faim de nos cœurs. Nous pouvons alors tirer chemin avec Lui.
(1) Jean – Jn 3,16-17
(2) OEA – X,321-322
(3) Malachie – Ml 3,1
(4) OEA – X ,322
(5) Luc – Lc 8,20-21
(6) Matthieu – Mt 16,24-25
(7) Marc – Mc 10,52
(8) Luc – Lc 7,48-50
(9) Luc – Lc 15,11-24
(10) François de Sales, Prophète de l’Amour, La tradition Vivante, CIF, Epinay sur Seine, 1982, p. 5
(11) Matthieu – Mt 11,28-30
(12) NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra
(13) OEA – IX,226
Source : Prédication de septembre en la fête de la Croix glorieuse du Christ.
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