
Après cinq années de tournées à travers la France, le groupe Glorious a quitté la scène. Thomas, le cadet des trois frères Pouzin, est parti pour une année de mission au Cameroun. Benjamin a démarré une formation théologique et philosophique tout en ayant rejoint la pastorale d’un lycée de Lyon. L’aîné, Aurélien, travaille dans une boîte d’événementiel. Il revient longuement sur leur revers pour Anuncioblog, avec une certaine amertume mais aussi l’envie d’en tirer les meilleures leçons pour se tourner vers l’avenir et rebondir.
Anuncioblog : En 2001, vous étiez les premiers à lancer un groupe de « pop-louange » en France, dans une perspective missionnaire, en répondant à l’appel de Jean-Paul II pour une nouvelle évangélisation. Aujourd’hui, vous avez annoncé que vous arrêtez, malgré vos 80.000 albums vendus depuis. Que s’est-il passé ?
Aurélien Pouzin : Nous avons vécu une aventure incroyable sous plusieurs aspects : 250 concerts à travers toute la France, de belles ventes (100.000 disques cumulés, un record historique pour des albums dits de « rock chrétien »), de nombreux plateaux radio ou télé, etc. Ces chiffres montrent l’ampleur en cinq ans de notre apostolat et de la demande sans cesse grandissante de catholiques qui souhaitent ce genre d’œuvre missionnaire pour annoncer l’Evangile, pour témoigner et grandir dans la foi. Malgré cela, nous avons été obligés de jeter l’éponge cet été : les raisons sont multiples, mais la principale vient sans doute de notre isolement ecclésial et de l’incompréhension majeure dans « l’appareil » pastoral français des enjeux missionnaires de la pop-louange ; cela dit, nous avons notre propre part de responsabilités, nous avons également commis des erreurs, mais qui n’en fait pas à notre âge ?
Quelle expérience retirez-vous de vos tournées à travers le pays ?
Que les gens ont soif de Dieu et que l’annonce explicite et joyeuse de la foi vécue dans la louange sur des musiques actuelles porte un grand fruit de bénédictions, voire de conversions ! Au-delà de ce qu’on pouvait imaginer !
Ceux qui sont loin de la foi ont besoin d’une première marche pour accéder à la catéchèse et aux sacrements : rappelez-vous la Pentecôte, les apôtres ont d’abord chanté les merveilles de Dieu et tous dans leur propre langue les comprenaient, leurs cœurs ont été « retournés ». La pop-louange permet de toucher ainsi très largement, bien au-delà des cercles cathos. De ce fait, l’inculturation de Glorious et du message de la foi dans la musique pop, a beaucoup parlé à de nombreux jeunes qui ne sont plus atteints par les structures en place dans l’Eglise. Cette inculturation de la foi est un « devoir évangélique » comme le souligne Saint Paul et le témoignage des premiers chrétiens dans les Actes des Apôtres.
Quelles réticences avez-vous rencontrées ?
Des réticences, de tout côté et sous des formes très diverses. Très peu venant des jeunes ou des familles, mais la méfiance, la tiédeur et la « non-volonté » de compréhension viennent surtout d’animateurs pastoraux ou de responsables dans l’Eglise de France : on nous a petit à petit marginalisés et condamnés à « vivre seuls ».
Selon vous, pourquoi ?
Cette réticence s’explique peut-être aussi par l’immobilisme et l’inertie que nous vivons dans nos églises actuellement. Elles se vident depuis cinquante ans, on s’en lamente, mais on continue les mêmes kermesses dépassées, les liturgies tristes, les préchi-précha lénifiants, les cantiques surannés, etc. Il y a un frein culturel certes, un peur du changement certainement, mais ce qui freine surtout c’est cette manière d’évangéliser de manière explicite, d’annoncer sous une forme moderne l’Evangile ; cela en a déstabilisé plus d’un dans l’Eglise, et beaucoup nous le reprochent.
Pourquoi la pop-louange ne serait-elle pas une musique sacrée ?
Je ne sais pas si l’on peut parler de musique sacrée pour la pop louange mais si certaines musiques liturgiques actuelles chantées dans nos églises sont « sacrées » alors la pop louange est « divine » !
Nous vivons dans une Eglise qui a du mal avec la culture contemporaine : nos pasteurs sont trop souvent imprégnés de culture très classique ou sont d’une autre génération, celle de nos grands-parents. La culture actuelle ne parle plus aux catholiques qui tiennent les clés pastorales des diocèses et pire encore, elle les rebute, elle y voit la marque d’une culture anti-chrétienne. Tout n’est certes pas bon dans la culture musicale actuelle mais de nombreux styles musicaux peuvent être d’excellents supports de louange, d’annonce et de témoignage de la foi.
« Pourquoi ferait-on la promotion d’un groupe sous prétexte qu’il est chrétien ? » s’interrogeait récemment dans La Croix le père Benoist de Sinéty, vicaire épiscopal pour la pastorale de la jeunesse à Paris. Qu’en pensez-vous ?
Ce qu’il dit est assez révélateur de l’incompréhension d’un certain nombre de pasteurs aux commandes et en charge de la pastorale des jeunes. Son analyse nous semble caricaturale, voire à la surface. On voit des systèmes sons et des lumières, une scène avec des instruments modernes et des jeunes qui chantent. Que peut-on penser ? « Des cathos qui veulent se la jouer star ! ». En rester là, c’est très ennuyeux car on risque de passer complètement à côté du pourquoi de groupes comme Glorious ; il semble ne pas entrer dans notre logique missionnaire et dans la vision d’évangélisation qu’est la nôtre. Pourtant, nous aimerions le rencontrer et en discuter avec lui.
Nous ne sommes pas là pour faire l’unanimité, et pourquoi soutenir Glorious ? Nous avons travaillé avec l’une des meilleures agences de presse musicale de Paris, et son directeur a eut une sorte de coup de cœur avec nous. Il s’est battu pour que Glorious puisse être diffusé en radio. Il nous a fait cette confidence : « si les cathos vous soutiennent en achetant le disque et que l’on atteint assez vite les 30.000, 40.000 ventes, alors toutes les portes s’ouvriront ». Venant d’une personne pas catho pour un sou et qui n’a forcément intérêt à soutenir l’Eglise catholique et son message, cette phrase est le reflet qu’il n’y a pas encore dans notre Eglise de logique communautaire et de soutien de la musique chrétienne, alors même que Glorious marche et porte du fruit ! Encore une fois, une forme de succès dérange.
Vendre 30.000, 40.000 albums à des jeunes c’est faisable, on l’a déjà fait, mais les cathos aussi sont souvent des zappeurs, nous vivons dans une génération qui ne fidélise plus grand chose… Ne serait-il pas positif pour l’Eglise d’avoir des laïcs, des artistes cathos engagés qui portent le message de manière nouvelle au monde ? Il faut comprendre qu’en réalité, la création de notre groupe s’ancre dans l’expérience des JMJ de Rome en 2000 et dans l’appel de Jean-Paul II à la « Nouvelle Evangélisation » auprès des jeunes, en les invitant à rechercher des formes nouvelles d’annonce, tout en ne reniant rien au message évangélique.
Pourquoi l’Eglise, qui a salarié Jean-Sébastien Bach en tant que Kapel Meister et a commandé de nombreuses œuvres musicales destinées à élever la prière des croyants, ne finance-t-elle pas les artistes ?
Il est certain que l’Eglise a constamment dans son histoire encouragé, aidé, financé… sous une forme ou sous une autre les artistes contemporains de chaque époque qui collaborent activement à rendre compte de la foi et de la beauté de l’homme, image de Dieu. Sur des formes précises, c’est aux responsables de l’Eglise de se prononcer, mais nous sommes disposés à en parler avec eux bien sûr.
De la même manière qu’Ashoka – une association qui finance l’entreprenariat social – pensez-vous qu’il soit possible d’inventer une structure de financement de l’évangélisation par la musique ?
C’est une possibilité bien entendu. Là encore, c’est aux évêques, aux responsables des mouvements de jeunes ou des mouvements familiaux de répondre et de prendre position sur l’utilité ou non d’une pop-louange catholique en France pour l’annonce de l’Evangile auprès de la jeunesse. Alors on pourra en tirer les conséquences en termes d’évaluation, d’organisation, de soutien et de financement.
Parmi les aumôneries qui vous ont accueillis, quels ont été les fruits pour les jeunes ?
Tout d’abord, peu d’aumôneries diocésaines ou locales nous ont accueillis. Pourtant, parmi celles qui en ont pris le risque, elles ont vu que leurs jeunes étaient heureux de voir des jeunes cathos exprimer et annoncer clairement leur foi en Dieu. Cela les a « boostées ». Mais je crois que ce serait plutôt à eux de répondre, plus qu’à moi.
On vous avait aussi proposé le Frat : pouvez-nous dire pourquoi vous avez décliné l’invitation ?
On ne nous a jamais réellement proposé de jouer au Frat… un prêtre était hyper motivé et avons eu quelques contacts avec lui, mais cela ne s’est pas concrétisé. En cinq ans, nous n’avons pas refusé une seule invitation !
Croyez-vous que les catholiques de France, dans leur ensemble, ont saisi l’enjeu que représente la musique chrétienne pour annoncer la Bonne Nouvelle aux jeunes et aux moins jeunes ?
Nous vivons un temps dans notre Eglise où l’annonce explicite de la foi n’est pas encore réellement prioritaire. Le questionnement devient cependant de plus en plus important, le débat est ouvert comme on l’a encore vu à Lourdes lors du récent congrès « Ecclesia 2007 » qui a mobilisé plus de 7.000 personnes sur la catéchèse. Cependant témoigner par sa vie, expliquer ou proposer le contenu de la foi, rentrer en dialogue avec le non-croyant… on l’accepte ; mais aller au devant des gens pour annoncer explicitement le Christ, « évangéliser » c’est encore très peu accepté et même refusé idéologiquement par beaucoup. Pourtant c’est bien l’expérience des apôtres dès la Pentecôte, c’est toute l’histoire missionnaire de l’Eglise et c’est l’appel très clair à la « Nouvelle Evangélisation » repris par les évêques de France dans leur texte sur la catéchèse. L’évangélisation est un mot qui fait encore très peur : on aime mieux se réfugier derrières des idées humanistes ou sociales certes généreuses mais très diluées. A partir de là, vous comprenez que Glorious n’est non seulement pas le bienvenu chez beaucoup de catholiques en France, mais qu’en plus il a beaucoup dérangé le « système » en place. Certains, mêmes, ne cachent pas leur satisfaction de nous voir disparaître…
Vous accusez beaucoup l’Eglise : n’attendez-vous pas trop d’elle ? Vous êtes-vous aussi remis en cause ?
Nous n’accusons pas l’Eglise, nous cherchons à créer un débat, nous posons des questions, dont la principale est : « peut-on évangéliser avec la musique actuelle ? ». Pour le moment, pas grand monde nous répond, ce qui veut peut-être dire que tout le monde s’en moque. Nous nous sommes remis en cause tous les jours car je pense que ce métier est très dur et il est d’autant plus dur et compliqué que tous les mois tu te demandes si tu vas continuer ou arrêter tellement l’équilibre économique est périlleux.
Nous sommes à un moment clé. Les JMJ de Paris ont dix ans, nous avons vu de nombreuses œuvres se lever, d’autres s’éteindre, c’est ainsi et c’est la vie de l’Eglise. La question se situe sur le fait que l’Eglise connaît très mal les jeunes qui ne vont pas à la messe et leur génération. Donc l’Eglise ne parle pas à toute cette nouvelle génération. Soyons réalistes et n’ayons pas peur de tous se remettre en cause. Cela ne fait pas de mal, cela fait avancer les choses.
Depuis cinq ans qu’avez-vous fait de concret ?
Donner nos vies au Seigneur en tant que laïcs pour servir l’Eglise, l’évangélisation par la musique, traverser la France, de long en large et en travers. Nous avons rencontré des dizaines de milliers de jeunes et avons entendu aussi l’appel et le soutien de tous les jeunes prêtres qui ont besoin de nous pour leur mission auprès des jeunes.
Qu’avez-vous constaté ?
Que cela marche et que pour poursuivre, nous avons maintenant besoin que l’Eglise soutienne notre œuvre et s’exprime sur l’utilité ou non de la présence d’artistes catholiques au cœur du monde.
Le métier d’artiste est un métier très dur. Votre abandon n’est-il pas finalement le parcours classique des artistes, avec des hauts et des bas ?
Bien sûr ce métier est très dur car c’est un travail qui prend ta vie entière et qui ne pose pas de limites entre ta vie d’artiste et ta vie perso. Tu as tout le temps la tête dedans, et ce n’est pas toujours évident. Cet abandon est d’abord le fait que nous avons beaucoup bougé et pas gagné d’argent pour prendre une année sabbatique, et nous avons aussi au bout de cinq ans tiré des conclusions de notre mission.
La musique chrétienne est-elle un style de musique en soi ?
Oui. La musique chrétienne transcende la musique « habituelle » en tournant la musique vers Dieu et non toujours vers l’homme.
Quelle légitimité aurait une musique chrétienne de style lounge ou alternative ?
Encore une fois, nous en revenons au problème de l’évangélisation et de son inculturation. C’est excellent pour toucher des gens loin de l’Eglise par le biais d’une musique qu’ils aiment écouter, et qui les rapprochent de Dieu par le style musical, l’ambiance créée, les paroles etc… Regardez la croissance et le succès planétaire du groupe Hillsong : ils rejoignent et touchent de nombreux jeunes incroyants, qui viennent au Christ par ce biais. Et nous les cathos francophones, on laisse passer le train ?
La musique profane en tant qu’expression artistique peut-elle être mêlée à du spirituel ?
La musique n’est pas profane en tant que telle, l’homme la rend profane. La musique est appelée à être divine en tant que telle, elle vient de Dieu et retourne vers Dieu, en élevant l’âme de l’homme qui l’écoute.
N’y avait-il pas un mélange des genres quand vous proposiez de prier aux participants de vos concerts, alors qu’ils avaient payé leur place ?
Et comment vit-on ? Voilà une réflexion toute catholique : le « tout gratuit ». Osons les sujets tabous et encore une fois, osons nous remettre en cause. Glorious a été le premier groupe à lancer une évangélisation nouvelle et audacieuse par la musique. N’étant pas des héritiers, nous avons constitué une société tous les trois pour gérer Glorious. Je voudrais là simplement dire que les risques financiers pris sont immenses. Nous ne sommes pas des fonctionnaires de l’Eglise, donc on ne peut pas faire du « tout gratuit ».
Je pense que nous avons eu la première année quelques remarques, mais c’est tout. Les jeunes vont voir Star Ac ou Tokyo Hôtel et paient au minimum 50 euros. Glorious était à une moyenne de 15 euros par concert alors que nous jouions dans de belles et grandes salles ! Est-ce un prix prohibitif au regard de la qualité du spectacle que nous avons développé d’année en année ? Dans le milieu du spectacle, pour information, la marge est de 40 à 50 %… avec quinze euros, la marge était proche des 1 ou 2 euros ! Alors à ceux qui pensent que l’on a fait ça pour se faire un maximum de pognon, qu’ils nous rejoignent dans l’aventure…
Etiez-vous des professionnels de la musique ou des professionnels de la prière ? Finalement, étiez-vous des musiciens chrétiens ou des chrétiens musiciens ?
Catholiques d’abord, artistes ensuite. Nous sommes des artistes porteurs de sens. Nous voulons donner du beau et transmettre de la joie. Lorsque vous regardez l’ensemble des télévisions qui nous ont suivis, tous les reportages montrent à la fin une joie immense des gens en sortie de salles. Voilà notre joie, n’est-ce pas là une joie qui vient du cœur crée par une rencontre. Pas celle de Glorious, mais celle du Christ !
Nous ne sommes que des passeurs, des ponts… mais là aussi, tout le monde n’a pas compris l’enjeu. Alors que nous sortons de la semaine missionnaire mondiale, nous vous invitons tous à relire la lettre de Benoît XVI. Le pape prononce à quatre reprises le mot « urgence missionnaire » et il invite à la fin les jeunes à répondre à l’appel du Christ et à demeurer dans un élan missionnaire. Nous disons donc à l’Eglise que nous sommes là, présents, attentifs, ouverts et disponible pour poursuivre notre mission.
Beaucoup de gens se reconnaissent dans des musiques rock comme « My Sweet Lord », pop « The Miracle » disco « Last Night the DJ Saved my life », funk « We are Family » ou reggae « Redemption Song » : selon vous, pourquoi ?
Je ne connais que très peu ces groupes, mais si des gens sont amenés par le biais de ces groupes à croire toujours plus en Dieu, à se convertir, à changer de vies alors c’est que cette musique porte vers Dieu. Ce qui rend donc les gens heureux et attachés à ces groupes qui les ont aidés dans leurs vies de foi par leurs chansons.
Faut-il parler ouvertement de Jésus dans ses chansons pour annoncer l’Evangile ?
Pas forcément, mais je crois que nous vivons des temps où il est plus qu’urgent de parler de Dieu ouvertement et sûrement.
Que pensez-vous du succès du Festival de Pâques à Chartres ? Comment faire, selon vous, pour qu’il passe de 20.000 à 100.000 visiteurs chaque année ?
Pâques est un merveilleux festival pour les jeunes cathos mais pour qu’ils soient 100.000, il faudra un vrai changement de mentalité dans l’Eglise de France. Les évangéliques, eux, l’ont compris.
Qu’est-ce qu’un groupe de musique chrétienne a de plus qu’un autre ?
Rien de plus en tant que personne mais tout sur le plan divin.
Qu’attendez-vous de nous pour revenir sur scène ?
Priez pour nous afin que nous discernions l’appel de Dieu et que nous accomplissions la volonté de Dieu.
Lire aussi (et réagir) : La pop-louange catholique, un levier missionnaire… qui mord la poussière
Le site de Glorious : http://www.glorious.fr
Le site du Festival de Pâques : http:://www.festivaldepaques.org
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