
Du nouveau chez les Semeurs d’Espérance : sans déroger à ce qui forge leur identité, ils tiendront désormais leurs rassemblements chez les Fraternités Monastiques de Jérusalem à Paris. Ne manquez pas leur rentrée ce mercredi 9 septembre à 19h30, à l’église St Gervais ! Après sœur Emmanuel du Caire, Fabrice Hadjadj, François Michelin… qui viendra cette année nourrir leur réflexion et l’originalité de leur démarche ? Romain Allain-Dupré, leur fondateur, nous raconte comment cette œuvre d’évangélisation grandit le cœur de ceux qui s’y investissent. Un entretien extrait du livre Dieu est de retour – la nouvelle évangélisation de la France (voir ici).
Un vendredi soir, dans une église parisienne, des jeunes se retrouvent, s’activent, certains avec un sac de couchage sous le bras. Ils ont répondu au rendez-vous mensuel des Semeurs d’Espérance. Il s’agit d’une veillée d’adoration introduite par un témoin catholique : l’abbé Pierre, sœur Emmanuel du Caire, Jean Vanier sont ainsi venus livrer aux Semeurs un peu le leur espérance… Mais les Semeurs, c’est aussi, en semaine, une rencontre avec le « Christ » sans-abri dans les gares parisiennes.
Dieu écrit droit avec des lignes courbes

« Converti à 20 ans grâce à la rencontre d’une jeune femme qui m’a (re)présenté le Christ, « son meilleur ami », je cours aujourd’hui encore après ce temps « perdu » à ne pas avoir bien aimé. Après un master d’économie et de finance aux Etats-Unis, puis des études à Hong-Kong, j’ai rejoint le siège Europe – Moyen-Orient d’une multinationale américaine, à Paris. La dimension fraternelle de l’Eglise m’avait singulièrement manqué à Hong Kong. C’est l’une des raisons qui me faisait revenir en terre « catholique », ma foi n’étant alors pas encore assez solide pour porter du fruit dans le « désert ». En acceptant ce poste d’analyste financier à Paris, je n’avais pas réalisé quel allait être mon rythme de travail. Du 9h30 – 22h00 en moyenne. Impossible dans ces circonstances de continuer à participer en soirée aux rassemblements de la communauté de l’Emmanuel dont l’un des groupes m’avait accueillie si « fraternellement » les quelques jours qui avait précédée ma prise de fonction.
A défaut de pouvoir prier en semaine à une heure décente avec des « frères », je rejoignais seul, chaque vendredi soir, Celui qui était également devenu mon meilleur ami, à la Basilique de Montmartre. Un soir, là haut, après avoir reçu le sacrement de réconciliation, un prêtre m’a demandé : « Que faites-vous pour les pauvres? » Mon agenda me laissait à peine le temps de prier pour ces « pauvres » dont me parlait ce prêtre. Alors m’engager pour eux… Mais la question faisait son chemin. Les longues journées de travail que je passais avec mes nouveaux collègues créèrent rapidement des liens forts. Certains me partageaient leurs projets, mais également et souvent leurs détresses, voire leurs angoisses, face à une vie apparemment confortable et bien établie. Le pauvre n’est pas tant celui qui n’a pas, que celui qui se trouve à la porte de lui-même. Dans ces drames invisibles et ces vies parfois orphelines de sens, je voulais espérer celle de Zachée. Il avait accepté de se laisser transformer par la Vérité. Pourquoi pas nous ? C’est fort de cette intuition que j’ai invité quelques uns de mes collègues et amis à faire ce pas vers le Christ, la nuit, à Montmartre. Nous sommes tous petits, mais façonnés à la grandeur et à l’image de Dieu. L’Eucharistie est une source et un lieu de rencontre privilégié pour les pauvres que nous sommes. »
Une graine jetée en terre
« « Que faites-vous pour les pauvres? » Je n’ai rien « fait ». J’ai proposé une Présence, une Rencontre avec le Christ. Les première fois, ce rendez-vous mensuel fut introduit par un enseignement spécifique sur l’Eucharistie, puis, plus tard, par des témoignages mettant en relief les terrains de missions des chrétiens dans la société. J’ai invité pour ce faire de prestigieux aînés : François Michelin, Nicolas Buttet, Jean-Marie Petitclerc, Jacques Delors, René Rémond, le père Pierre Ceyrac, et bien d’autres. Ils sont venus nous exhorter à espérer l’Evangile dans les vies du monde moderne. Les Semeurs d’Espérance étaient nés.
« L’esprit qui médite cède la place au coeur qui aime » nous dit Saint-François de Salle. En nous fondant dans le mystère Eucharistique, le groupe que nous formions acceptait petit à petit la logique de la Croix et du service à l’autre. Le Christ qui se fait prisonnier du Saint Sacrement se faisait prisonnier de notre coeur invité à aimer en Son nom. Fort de cet appel, nous avons imaginé une présence auprès de personnes marginalisées et sans-abri. Nous avons noué pour ce faire une convention avec la SNCF. Elle nous accueille maintenant à dans des gares parisiennes. Cette convention nous permet également d’être en relation avec un tissu d’associations actives sur ces différentes gares et dont les services sont complémentaires de notre démarche. Nous tentons dans ces gares de créer du lien, d’offrir et d’accueillir l’amitié. Nous invitons également nos amis sans-abri à découvrir l’Amitié de Dieu, patiente, discrète, aussi grande que silencieuse, semblable à cette hostie posée sur l’autel. A la suite de cette Rencontre dans la maison du Seigneur certains amis de la rue, comme Yves, Régis ou David, ont retrouvé un coeur qui n’osait plus aimer, parfois un logement, un travail … une dignité surtout ! Vous comprendrez néanmoins que notre démarche n’est pas en premier lieu d’œuvre sociale, mais d’oeuvre mystique puisque nous proposons un « Rendez-vous » où peut se révéler le Mystère. Notre aptitude à rencontrer notre frère ne réside pas tant dans notre capacité à l’appréhender dans sa psychologie, que dans le lien qui nous unis à Jésus. Comme le Christ, le pauvre me révèle à moi-même. Il est un « sacrement ». Il est manifestation d’Un autre. C’est également fort du sacrement Eucharistique, de ce signe visible d’une réalité invisible et agissante, que nous pouvons regarder chaque homme comme un lieu de rencontre avec Dieu. C’est par cette réflexion qu’on grandit les Semeurs d’Espérance.
En 2003 nous avons mis sur pieds un atelier théâtre pour nos amis. Il s’agit de mettre en scène avec eux des paraboles de l’Evangile. Les répétitions hebdomadaires les responsabilisent et contribuent à les réinscrire dans l’espace temps. Elles les aident à sortir d’eux même et à reprendre confiance. Le mercredi soir, c’est toute la troupe qui compte sur eux, et c’est toute la troupe qui se trouvera pénalisée si l’un ou l’autre manque ce rendez-vous. En même temps que de s’imprégner du message de l’Evangile, nos amis vont, lors des représentations, offrir du sens à ceux qui parfois n’en voient plus dans leur condition de vie.
Enfin nous proposons depuis l’an passé un entrainement foot afin de cultiver, également sur le terrain du sport, des rapports fraternels. Après la messe dimanche matin, certains de nos amis se retrouvent autour d’un ballon créateur de liens ! »
Une démarche d’engagement
« La misère a quelque chose de profondément révoltant. Pourquoi ces injustices ? Où est l’Espérance dans tout cela ? La clé d’une rencontre apaisée avec celui qui est injustement touché par les épreuves réside je crois dans la relation que nous entretenons avec notre Créateur. Etre chrétien, c’est aussi donner du sens à ses actes, un « pour quoi ». Aujourd’hui, on s’attarde souvent sur le « faire » visible d’une sœur Emmanuelle ou d’un père Ceyrac, sans essayer de saisir le secret, le moteur spirituel de leurs actes. La relation à Dieu, la vie de prière, voilà ce qui permet aux Chrétiens de poser des actes extraordinaire. Dieu est partout ou il n’est pas. C’est dans ce qui me semble parfois être le moins façonné à Son image que je veux pourtant Le rencontrer. Pour cela nous avons voulu organiser notre démarche autour d’un engagement. Les Semeurs enfilent le tablier de Marthe dans les gares parisiennes si et seulement si ils s’agenouillent comme Marie aux pieds de l’autel. Pratiquement ils méditent chaque mercredi les mystères de la vie de Jésus en priant le chapelet pour mieux L’aimer et Le reconnaitre chez le « petit », « l’insignifiant », celui qui n’est plus regardé. Par ailleurs, tous les ans, j’organise pour les Semeurs une retraite sur mesure autour de notre aumônier ou d’un témoin qui va venir enrichir notre identité autant que l’originalité de notre présence à l’autre.

Les personnes de la rue vivent dans un espace temps très aléatoire. Beaucoup sont en manque de lien avec l’autre, et donc de repère temporels. Regarder l’ami de la rue comme un homme c’est également prendre l’engagement d’être fidèle au rendez-vous fixé. A la manière du renard qui attend le Petit Prince pour l’apprivoiser, donner l’engagement de sa présence un soir de la semaine offre un repère. Quelqu’un m’attend et m’espère. Attendre, c’est se mettre dans la posture du Père qui espère le retour du fils prodigue. C’est cultiver l’Espérance.
Il convient de nous reconnaître pauvre devant le Christ afin d’établir une relation où l’on ne cherche pas à impressionner l’autre avec des artifices, mais où l’on se dévoile tel que l’on est, avec ses faiblesses et ses craintes. C’est dans cette disposition seulement que chaque rencontre nous met face à nous même. Nos amis des gares nous bousculent parfois dans notre vulnérabilité et font d’elle une crèche. Ils ouvrent à leur tour notre porte, lourde d’une « richesse » qui parfois faisait rempart à l’essentiel. La démarche entreprise nous aide peu à peu à changer notre regard. Trop souvent nous abordons les personnes de la rue avec un geste ou un regard qui va du haut vers le bas, avec un cœur de riche, parfois animé par la pitié ou la culpabilité. Or cette démarche ponctuelle ne saurait porter de fruits, au contraire. Seul un regard animé par l’Amour peut véritablement aider l’autre, en le rendant digne, en le faisant grandir. « Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, s’il me manque l’Amour, cela ne me sert de rien. » (1Co 13,3) » »
Une école pour vivre le « sacrement du pauvre »
« Jésus termine sa mission par un grand cri que nous percevons encore. Dieu est en agonie jusqu’à la fin du monde, à quelques mètres de nous : pouvons-nous dormir pendant ce temps-là ? Pouvons-nous oublier, passer sans entendre, organiser notre vie comme si ce cri n’avait aucune place en elle ? Mère Teresa tâche de répondre à la question : « Qui est Jésus ? » Elle ne dit pas seulement : « Il est la parole, la lumière, la vie, l’affamé » mais : « Il est le pain à manger, la lumière à apporter, le malade à purifier… ». Ce « à » est très important car c’est ici que la Présence de Jésus éclate.
Quand je parle de pauvreté, je n’ai pas seulement à l’esprit la détresse des enfants des rues de Manille. J’ai également l’image de notre souffrance, la vôtre, la mienne, celle de ceux qui nous entourent dans ces environnements qui nient trop fort le Christ. Il y a les larmes que l’on montre et celles que l’on cache. Il y a les larmes que l’on verse à cause de notre péché et il y a les larmes que l’on ne peut plus verser parce qu’elles n’ont plus de pourquoi, plus de sens. Comme chrétiens, je crois que nous avons comme mission particulière de recueillir ces larmes et de les faire habiter par le Christ. Ainsi, être Semeur d’Espérance consiste à regarder Jésus et à lui ouvrir la porte de nos dénuements. C’est ainsi qu’à son tour Il peut se laisser reconnaître dans la « nudité » de nos amis sans-abri qui chaque semaine nous invite à partager notre espérance.
Le handicap de notre époque et qu’elle s’éveille trop souvent au drame de la souffrance avec une mentalité de riche. Un Jean Vanier s’approche de ce même drame avec un cœur de pauvre. C’est dans le cœur que nous voulons écrire la marche qui nous anime. Et cette marche commence à genoux devant Jésus hostie : « Apprends-moi à regarder chaque gomme comme un lieu de rencontre ; apprends-moi à marcher vers sa beauté et à marcher vers sa souffrance ; apprends-moi à T’y rejoindre dans l’une comme dans l’autre, comme dans un seul et même mystère. C’est là que Tu m’attends, avec mon audace et mon sourire d’enfant. Prends-moi par la main et conduis-moi vers le secret de ce que je suis ».
Nous ne passons qu’une fois le chemin de nos vies. Et ces vies sont des aventures et des combats. Face à la souffrance, on peut être tenté par la passivité, il nous est proposé l’engagement. On peut être tenté par l’enfermement, il nous est proposé le don par amour. On peut être tenté par l’anéantissement, il nous est proposé de nous laisser transformer. Pour nous laisser transformer, je crois qu’il convient de poser nos regards sur Celle qui a porté l’Espérance du monde jusqu’à la Résurrection. Elle est murmure qui conduit à Son Fils. Cette perspective doit nous aider à écrire notre pèlerinage terrestre comme une lettre aux grands au nom des petits. « Ce que vous avez fait à l’un de ses plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). »

Une œuvre pour la nouvelle évangélisation
« Il nous faut croire que l’Eglise est un sujet d’espérance, et, bien plus encore, qu’Elle est l’Espérance du monde. L’Eglise a à inventer de nouveaux modes de présence. Elle doit mettre au jour de nouvelles modalités pour conjuguer la tradition profonde reçue en héritage aux réalités du monde. Il y a nécessité d’annoncer le Christ, et de décider d’essayer de rejoindre le monde dans ses attentes, dans ses quêtes, avec toute notre intelligence. Comment annoncer la foi, par exemple, à ces jeunes qui n’ont jamais entendu parler du Christ ? Aux immigrés de cultures étrangères ? Aux personnes sans-abri ?
Alors que l’Eglise en France pourrait être qualifiée de « minoritaire » (qui dit « minoritaire », dit, à mon sens, « identitaire ») nous avons besoin de signes forts. Après le concile de Vatican II, il semble que les catholiques occidentaux aient développé une certaine théologie de « l’enfouissement ». Il fallait se tenir là, se faire présence, à la manière du levain dans la pâte. Mais cet enfouissement, hélas, a conduit parfois à des silences, voire à des compromissions. A force de rejoindre le monde grandit le risque de se fondre dans le monde, jusqu’à s’y perdre. C’est ainsi qu’a pu s’établir une sorte de sécularisation de la présence de l’Eglise. Aujourd’hui il faut rehausser les signes de notre présence ! La nouvelle évangélisation consiste aussi à cela : permettre cette visibilité de l’Eglise.
Si l’évangélisation nous oblige à nous donner une vision, une prospective, elle se nourrit de notre relation personnelle à Dieu et elle est exigeante ! Il convient d’entrer dans cette éternelle mission du Fils, de laisser Dieu agir en nous, à travers nous, par ce primat de la grâce. L’évangélisation implique le choix de Dieu. Aujourd’hui plus qu’autrefois se dessine une ligne de partage entre ceux qui se laissent porter par le courant, et ceux qui se décident vraiment pour le Christ. Pour nous aider à faire ce choix, le témoignage des consacrés qui ont tout quitté pour le Christ, et en particulier de ceux qui ont rejoint un ordre contemplatif, se révèle infiniment précieux. C’est également pour cette raison que nous avons demandé à une centaine de communautés contemplatives de porter au quotidien la démarche des Semeurs d’Espérance autant que ses membres dans leur prière. S’il est, certes, très difficile de vivre à la hauteur de l’Evangile, il ne nous faut pas cesser de tendre vers cette hauteur. L’évangélisation implique une cohérence dans notre vie. Elle implique également une créativité et une imagination décuplées. L’Esprit invite à inventer de nouvelles manières d’exprimer la Foi au monde. Puisque chacun de nous possède au moins un talent à faire fructifier, soyons des hommes et des femmes de créativité. Les Semeurs d’Espérance représentent un visage original de l’évangélisation. Il y en a tant d’autres encore à inventer !
En plus de la transformation de notre coeur, visons encore celle du monde ! Il faut accepter que le christianisme nous amène à des prises de positions par rapport au monde. Nous pouvons être tentés de rejeter en bloc son fonctionnement et oublier que nous sommes responsables de son devenir. Les témoins que les Semeurs d’Espérance font intervenir chaque mois pour introduire leur nuit d’adoration nous disent à leurs façons : « Osez la vérité. Voici notre expérience et notre espérance. » Je crois que l’Eucharistie est un point de départ. Par Elle nous recevons en nous le gage de ce que notre société peut être transformée. Si Dieu peut changer le pain en Son Corps Il peut changer la société. Je trouve personnellement en l’Eucharistie un véritable chemin de liberté. Il y a une phrase que le prêtre prononce à la messe pendant l’offertoire et qui m’émeut beaucoup : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité ». Ces matières brutes que sont le pain, le vin, mais finalement nous-mêmes, Dieu les invite à se présenter telles qu’elles sont, pour être rendues conformes à son Fils. Alors l’Eucharistie devient cette offrande vivante, celle en laquelle prennent chair tous nos « je t’aime ». »
Renseignements sur www.semeurs.org ou au 06 72 73 72 72. Prière mariale animée suivie d’un dîner tous les mercredis soirs à 19h30 à l’église St Gervais (entrée par le 13 rue des Barres – Paris 4ème / Métro Hôtel de Ville).
Pour en savoir plus sur Dieu est de retour : Dieu est de retour
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