Discussion avec une infirmière scolaire, quadra, sympa, mère de famille, catho engagée dans les cours Alpha : « Tu sais, c’est pas facile, raconte-t-elle, je passe une partie de mon temps à distribuer aux gamines des capotes et des pilules du lendemain. » Je la questionne : « Est-ce que les gamines progressent, se responsabilisent, est-ce que ça marche ? »
« Non, répond-elle, les gamines sont paumées, elles font n’importe quoi, c’est la cata. » Je poursuis : « Si ça marche pas, pourquoi on continue ? » Réponse : « Que veux-tu qu’on fasse d’autre ? On n’a pas le choix ! » Comment vit-elle cela personnellement ? C’est dur, ça tangue fort, c’est l’angoisse. Le mari est là, il ne dit rien. Je rentre dans le dur : « Est-ce normal que ta femme se mette en danger personnellement pour un système permissif pourri qu’elle n’a pas choisi ? » Réponse : « C’est son métier, elle n’a pas le choix… » Il baisse les yeux.
Aveu semi-serein d’une mère de famille quasi quinqua, catho et tutti quanti : « J’ai emmené ma fille chez le gynéco pour la pilule. Dans le monde dans lequel on vit, il faut les protéger, on n’a pas la choix… » Dans la même veine, des mamans cathos papotent sur leurs grands enfants : plus de pratique religieuse, concubinage ici, peur de l’engagement là, p’tits copains intégrés dans la vie de famille etc. « C’est dommage, mais tout le monde fait ça, faut accepter, on n’a pas le choix. » Regrets, souffrance. Trop tard ?
Bonne fiction à la téloche : 19ème siècle, les ch’tis dans la mine, coup de grisou, l’horreur. Parmi les survivants encore prisonniers du monstre, un gosse de 10 ans, forçat de la faim, damné dans le ventre de la terre. L’ingénieur en chef du consortium des mines et du progrès humain déboule : « On rebouche, il faut sauver ce qui reste de la mine. » Et ceux qui sont encore au fond ? La conscience du directeur vacille, il s’exécute cependant. Son fils l’interpelle : « Vous êtes un lâche, un assassin ! ». Gifle, cris : « Si je ne le fais pas, ils vont me chasser et un autre fera le travail à ma place, ça ne changera rien, on n’a pas le choix. »
21ème siècle, téloche, JT, débats : crise, mondialisation, licenciements, délocalisations, déréglementation. « Oui mais les Chinois, oui mais les Indiens, oui mais la concurrence… » On replâtre la maison capitaliste : on ravale un bout de façade lézardée, on met un coup de blanco moral sur les murs les plus crasseux de cupidité. Et les fondations vermoulues ? Réponse : « Non non ça va tenir, de toutes façons on n’a pas le choix, ça passe ou ça casse. »
Consumérisme ? Pas le choix. Carriérisme ? Pas le choix, c’est marche ou crève. Individualisme ? Pas le choix, c’est lui ou moi. Paradoxe : dans la bouche des foules enivrées : « Liberté, liberté chérie, liberté libérale, liberté libérante et liberté libérée, vive la liberté. » Les Übermensch libres célèbrent Mammon libre et sa cour libre aux cris de « liberté ».
Pensionnat public de la Légion d’Honneur à Saint-Denis. Messe de rentrée 2007. Le lieu semble en silencieuse et délicieuse suspension. Le temps n’a pas de prise. Le cloître exhale l’odeur de siècles de prière, la « bona odora Christi ». Tout saisit : l’immense chapelle, majestueuse, les plafonds à hauteur de mammouth, les escaliers de pierre, si larges qu’on pourrait les dévaler à quinze de front. L’atmosphère austère et profonde est intacte. L’aumônier prêche, port de tête raide, soutane stricte et chasuble immaculée, petit œil vif mi-goguenard mi-sévère, verbe châtié, éloquent, grave, déférence rigoureuse pour les autorités, sollicitude exigeante pour ces jeunes filles en grand uniforme qu’il appelle « Mesdemoiselles ». L’abbé semble tout droit sorti du Concordat. Il annonce le thème de l’année :
« Tu peux construire, tu peux détruire, choisis ! »
La voix claque, le pieux silence est parcouru par un murmure, le frisson saisit les âmes qui veulent comprendre toute la grandeur vertigineuse du programme. L’année passe. Une légion bien fournie de gamines a choisi : on prie, on adore, on assiste à la messe, on se confesse, on fait du caté aux petits africains de Saint-Denis, on bosse autant qu’on rigole… et on bosse beaucoup. Pas de p’tit copain d’un jour ou d’une semaine, des amitiés solides, simplement un cœur de feu qui tremble et chavire à l’occasion pour ce promis qui peuple leur prière et qu’elles ne connaissent pas encore. Qu’attendent-elles ? Le bon, le bon garçon, le bon mari, ou autre chose si Dieu le veut. Ca essaime, fécondité. Il y a 20 ans : « Une demoiselle dans l’aumônerie, raconte l’abbé, vous entendez : une ! » Aujourd’hui : aumônerie pleine, sans démago, à faire pâlir une école catholique.
Je raconte autour de moi. On est sceptique, on se moque, on me rétorque : « cocon, surprotection, formatage, vernis, ça va craquer un jour »… Comme si on l’espérait secrètement. Balivernes ! Arrière, ventres mous frelatés, tordus par la douleur de l’échec ! Cette belle légion de gamines, minoritaires mais très visibles parmi ces centaines de demoiselles, vit au cœur du monde 5 jours sur 7, au milieu de leurs camardes, pour beaucoup sans repères solides. Les gamines de l’aumônerie ne se cachent pas, elles s’exposent. La protection, c’est pour les deux jours qui restent, c’est la famille, pour la plupart avec un papa et une maman qui s’aiment.
Derrière ces épais murs d’enceinte, au cœur du « goulag » comme l’appelle ma fille avec cette ironie saine et joyeuse, des demoiselles en bleu marine ont choisi la liberté, la vraie liberté, la plus grande des libertés : la liberté intérieure. Pourquoi l’ont-elles choisie ? Un abbé sorti du concordat l’a proposée…
Tu veux évangéliser ? Réhabilite le choix…
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