Le modèle de vie bénédictin, pilier de la Nouvelle Evangélisation

La Nouvelle Evangélisation sera l’évangélisation d’une Europe radicalement nouvelle : une société « européenne » dont le climat mental se façonne déjà autour de nous, sous l’emprise de forces sociales, économiques et démographiques irrésistibles. Ce climat va requérir de nouvelles formes de témoignage catholique. Avec le regard de l’Evangile, positif et réaliste, les croyants prennent acte de deux éléments nouveaux, qui posent des problèmes inédits mais qui ne peuvent pas décourager des évangélisateurs. Intervention de Patrice de Plunkett au congrès de l’Association Saint Benoît Patron de l’Europe (abbaye de Fontgombault, 26 mai 2006).

L’un de ces deux éléments nouveaux est psychologique. L’autre est culturel.

On voit se répandre en Occident une psychologie collective, façonnée par les puissances commerciales, et qui va dans un sens toujours plus éloigné de la culture chrétienne. Nous venons d’en connaître un exemple avec le film Da Vinci Code : cette superproduction, lancée par Hollywood avec un budget de 125 millions de dollars, aggrave la propagande antichrétienne du roman de Dan Brown, qui a vendu plus de 40 millions d’exemplaires en Occident. N’en sous-estimons pas l’effet sur l’opinion publique : 31 % des lecteurs français croient que Da Vinci Code rapporte « des faits réels de la vie du Christ », et 21 % croient qu’il y a « du vrai » dans les accusations de Brown contre l’Eglise… Une grande partie du public ne voit pas que les allégations de Da Vinci Code sont invraisemblables. Ces chiffres montrent quel abîme sépare les mentalités d’aujourd’hui et la connaissance du christianisme.

La seconde réalité massive, en effet, est l’ignorance des habitants de l’Europe envers le contenu de la foi chrétienne. Cette ignorance touche aujourd’hui des pans entiers de populations :

– les Européens « de souche » ont perdu le contact avec la culture chrétienne, au cours du grand abandon des patrimoines spirituels, intellectuels, moraux qui a marqué la fin du XXe siècle occidental ;

– d’autre part, les populations qui immigrent en Europe viennent largement de sociétés non chrétiennes.
Cet afflux d’immigrants est une donnée irréversible : la cause en est l’effondrement volontaire des naissances européennes. Notre désert démographique attire les peuples jeunes, selon un processus aussi ancien que l’humanité.

Telle est l’Europe que le Seigneur nous donne à évangéliser. Elle peut déconcerter. On peut déplorer (comme certains philosophes laïques) la perte des « repères culturels » hérités du passé… Mais nous n’avons pas le droit d’esquiver la mission confiée à chaque génération de chrétiens : témoigner de la foi, quelles que soient les conditions du moment présent – y compris lorsque ces conditions sont sans précédent. Comme le constatait en novembre 2005 le P. Cantalamessa dans sa première homélie de l’Avent devant le pape Benoît XVI, la majorité des habitants de l’Europe nouvelle ne se soucient pas du patrimoine spirituel et moral de l’ancienne civilisation européenne. Leur conscience n’est pas attirée par les trésors d’un passé devenu trop « lointain ». Donc ce passé n’évangélise pas (sauf peut-être les étudiants en histoire !). On ne peut pas évangéliser sans rejoindre les gens dans leur vie personnelle quotidienne, dans leur instant présent, ainsi que Jésus-Christ le fait à toutes les pages de l’Evangile… Il ne s’agit au fond que d’une seule chose : aider le prochain – d’où qu’il vienne, quelle que soit sa culture d’origine (ou son absence de culture) – à entrer en contact personnel, ici et maintenant, avec la personne du Christ.

Donc les catholiques croyants – minoritaires dès aujourd’hui en Europe occidentale – ont à trouver de nouvelles façons (et un nouveau langage) pour faire connaître « l’espérance qui est en eux » à qui leur en « demandera les raisons ». Pour que l’on ait simplement envie de leur demander ces raisons, les croyants ont à faire voir leur espérance par toute leur façon d’être. L’art de vivre chrétien, s’il s’incarne vraiment, offre une réponse aux désirs profonds de nos contemporains.

Ceux-ci vivent sous l’emprise de ce que Jean-Paul II nommait « le matérialisme mercantile » : l’esprit d’une société sans esprit, refusant ou niant les biens essentiels (spirituels, moraux) sans lesquels l’homme ne peut s’épanouir. Cherchant sourdement le sens de leur existence, les Européens du XXIe siècle tourneront le regard vers leurs frères croyants : mais seulement dans la mesure où ceux-ci leur paraîtront vivre une vie pleine de richesses humaines partageables, une existence irriguée par un flux de sens, d’espérance, d’amour, alors que le reste de la société se dessèchera dans le nihilisme.

Proposer à nos contemporains une dimension de vie que la société leur refuse, c’est cela, le point de départ de la Nouvelle Evangélisation.Et c’est en cela que le modèle de vie bénédictin, qui est une façon radicale de vivre l’Evangile, trouve un rôle évangélisateur, dans une Europe qui redevient terre de mission.

Nous savons le rôle que les fils de saint Benoît ont joué dans la naissance de l’ancienne Europe : si l’on en croit le pape Paul VI, c’est eux qui, « avec la croix, le livre et la charrue, apportèrent le progrès chrétien aux populations, de la Méditerranée à la Scandinavie, de l’Irlande aux plaines de la Pologne ». Mais le modèle bénédictin n’est PAS un trésor du passé : c’est un trésor pour aujourd’hui, parce que l’esprit de saint Benoît a ses racines dans le Ciel, et parce qu’il respire une connaissance fine et profonde de la psychologie de l’homme terrestre.

Si un laïc lit la Règle de saint Benoît avec attention, il découvre que ce texte témoigne pour l’humanité profonde, contre l’humanité superficielle. Or c’est au superficiel que s’adresse le matérialisme de notre société : ce matérialisme occidental qui refoule l’humanité profonde, et qui veut réduire la personne à un rôle de consommateur, dominé par ses pulsions nerveuses et ses émotions factices. Par contraste avec cela, l’évangélisation apparaît comme un « secours » apporté à nos frères, pour les aider à devenir homme nouveau (c’est-à-dire homme de vie intérieure) – en se désencombrant du vieil homme en eux : l’homme du superficiel, du nerveux, du factice, borné à un horizon de techniques et d’objets de consommation.

Rien n’est plus urgent aujourd’hui que cette libération : et cela même du point de vue séculier, à en juger par les convulsions de plus en plus fréquentes qui secouent nos pays. Ainsi, évangéliser est aussi un service à rendre à l’ensemble de la société – contrairement à ce que disent nos élites, chez qui s’installe actuellement une sorte de cathophobie.

Si la Règle de saint Benoît apparaît aujourd’hui (au-delà de l’univers monastique proprement dit) comme un pilier de la nouvelle évangélisation, c’est que le rayonnement du modèle bénédictin témoigne d’une dimension essentielle de l’existence humaine : dimension ostracisée par la société actuelle, et qui est l’espace de la vie intérieure. Face au diabolos de la société matérialiste mercantile, qui divise, qui disloque l’individu en le poussant à ne plus connaître que ses pulsions chaotiques, la Règle bénédictine plaide pour l’unité intérieure de la personne. Et c’est le premier pas de toute évangélisation.

Comme l’a prophétisé Paul VI avec une intuition remarquable : « L’excitation, le bruit, l’agitation fébrile, l’extériorité, la foule, menacent l’intériorité de l’homme. Il lui manque le silence avec son authentique parole intérieure, il lui manque l’ordre, la prière, la paix. Il lui manque lui-même. Pour retrouver la maîtrise et la joie spirituelle de lui-même, il a besoin de se remettre en face de lui-même, dans le cloître bénédictin… C’est cette soif de vraie vie personnelle qui conserve à l’idéal monastique toute son actualité. »

Rappelons que Paul VI a dit cela en 1964, au Mont Cassin, en proclamant saint Benoît « patron de l’Europe »… Et constatons que l’Europe dont il s’agit aujourd’hui est bien cette société désorientée dont parlait le pape, quand il lui proposait le modèle de vie bénédictin comme remède.

Lire la suite : Sur le blog de Patrice de Plunkett

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