Paris, un samedi à 15 heures sur la place Stalingrad et par un grand soleil, au métro Jean Jaurès. Debout sur une caisse en bois, Samuel Pruvot – dans la vie père de cinq enfants et rédacteur en chef actualités de l’hebdomadaire catholique Famille Chrétienne – harangue la foule. « Si j’ai un trésor, dois-je le cacher ? » lance-t-il aux passants en se jetant à plat ventre sur sa caisse comme si elle renfermait quelque chose de précieux. Il se relève : « non, je dois vous le partager, c’est plus fort que moi ! ». Voici quinze ans qu’il évangélise ainsi dans la rue de Paris avec une trentaine d’autres membres de la communauté Aïn Karem. Témoignage.
Samuel a rencontré sa future femme il y a quinze ans, dans une paroisse où de nombreux projets d’évangélisation se lançaient. Un jour, il se rend avec les autres paroissiens à la Fontaine Saint Michel et il tombe d’admiration devant l’un d’entre eux, qui monte sur un tabouret pour annoncer le Christ aux très nombreux passants qui se trouvaient là. C’est pour lui comme un coup de tonnerre : « Quelle est cette foi si débordante qui vient briser le train-train quotidien du monde ? se demande-t-il. Dieu surgit dans l’humanité alors qu’on a beaucoup de raisons d’éteindre la lumière. Les gens doivent se demander : « mais qu’est-ce qu’il a, ce type ? ». Une provocation qui n’en est pas vraiment une, mais qui contraste avec ce monde assez loin de Dieu. Samuel ajoute : « Si tout monde était connecté en haut-débit avec le Bon Dieu, cela ne surprendrait personne. Il ne s’agit pas de vouloir choquer, mais annoncer le Christ en plein air est toujours un grand électrochoc ! ».
Mettre quelqu’un en relation avec Jésus-Christ
Pour ce haut-parleur, l’évangélisation est simplement mettre quelqu’un en relation avec Jésus-Christ. « Dans l’évangile, André amène tout de suite d’autres que lui à Jésus. Pour amener d’autres à Jésus, il faut parler de Lui et prendre la main de celui à qui l’on s’adresse pour le mettre en contact avec son créateur. S’effacer ensuite à partir du moment où le contact s’établit. Comme aujourd’hui l’évangélisation devient à la mode, le risque est de voir la mission partout, y compris dans le passage d’une serpillière à l’église : les bonnes actions ne suffisent pas si nous n’annonçons pas le nom de Jésus. C’est comme si vous mettez trop d’eau dans la grenadine, explique-t-il : vous en perdez le goût. Si l’on parle à quelqu’un de Jésus, c’est pour qu’il le rencontre. Il n’y a pas besoin d’être un saint pour témoigner : au contraire, je suis un pécheur qui a rencontré un sauveur ! L’action missionnaire ne nous demande pas de tout savoir et d’être bien sur tous les plans, mais de ne pas tricher sur le témoignage de Celui qui nous sauve. Etre pécheur en annonçant un sauveur enlève beaucoup de craintes et de respect humain. Quand on parle à quelqu’un, nous ne sommes pas au-dessus, nous sommes sur le même plan : la lumière brille pour tout le monde et nous, chrétiens, nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Nous avons peut-être simplement vu cette lumière avant d’autres. »
Evangéliser pour « faire des chrétiens » ? Il répond « oui ! » sans hésiter
Samuel rappelle l’oraison de la messe pour la Pentecôte : « Nous demandons à Dieu de renouveler le miracle de la Pentecôte et d’avoir la grâce d’adjoindre à l’Eglise de nouveaux fils par l’évangélisation. Nous sommes alors comme des pompiers dans un incendie, qui émergent de la fumée avec des enfants dans les bras… Mais nous n’obligeons personne à quitter la maison en feu ! L’urgence est pourtant de sauver des flammes, même si les occupants ne voient pas l’incendie. Mais j’admets que pour déranger les gens sur la question essentielle du sens de nos vies, il faut vraiment avoir quelque chose à dire. »
Un état d’esprit tourné vers la compassion et l’espoir fou d’amorcer une rencontre avec Dieu, comme on démarre un moteur à manivelle
« Pour évangéliser dans la rue, nous essayons d’abord de faire grandir en nous l’amour de Dieu et l’amour de nos frères, continue-t-il. C’est pour cela qu’à tour de rôle nous restons adorer la Présence réelle dans le Saint Sacrement à Notre Dame des Buttes Chaumont, l’église la plus proche. Comme dans les œuvres de charité, c’est en se rapprochant de Dieu qu’on finit par se rapprocher de ses frères. Ainsi nous demandons la grâce de mieux L’aimer, car c’est alors que nous aimerons mieux ceux que nous allons rencontrer. La plus belle chose que nous pourrons donner à nos frères, par amour pour eux, c’est de leur permettre de rentrer en contact avec le Christ. Si un homme est alcoolique, une thérapie l’aidera sûrement à s’en sortir ; mais s’il a la grâce de percevoir le mystère d’un Dieu qui nous aime et qui nous a sauvé, alors il sera plus facilement guéri. L’espoir fou qui nous anime est non pas que la personne soit d’accord avec nous – il y a le militantisme politique pour cela – mais que notre interlocuteur commence à se tourner vers Dieu, comme nous aimerions faire repartir un vieux moteur des années cinquante à démarrage à manivelle… »
Samuel nous explique cette image : « Quand tu évangélises dans la rue, tu essayes de démarrer un moteur qui s’est retrouvé en face de toi et qui n’a pas la foi. Ce n’est pas toi qui a la capacité de faire tourner ce moteur, mais tu tentes de donner l’impulsion nécessaire pour qu’il démarre et qu’il donne toute sa puissance, tout son potentiel d’amour. Je propose donc aux passants d’essayer de démarrer leur moteur pour faire rouler tout leur être à 300 km/h, la vitesse minimale de notre vocation première, dont nous n’avons parfois même pas idée ! Cela implique aussi de croire en soi-même et en ses propres capacités, car pour certains, l’amour de Dieu, c’est comme si on leur parlait d’un voyage aux Seychelles : « désolé, mais pour moi, impossible de partir ! ». »
Le missionnaire et la personne en recherche sont comme deux lignes parallèles à l’infini
Au départ, explique encore notre haut-perché, il y a toujours un décalage entre le missionnaire et la personne en recherche, comme deux droites parallèles qui ne se croisent jamais, l’une disant à l’autre « pour moi, Dieu n’existe pas, ça ne m’intéresse pas ! » et l’autre ne répondant rien à ces certitudes, faute d’être à ses côtés. « Mais si la deuxième personne prend le soin d’aller à l’intersection – la rencontre en évangélisation – et de dire à l’autre « j’ai rencontré Dieu, tout va bien pour moi mais je trouve insupportable que tu ne le connaisses pas ! », alors un déclic peut se produire. Le passage de la Transfiguration dans l’Evangile nous éclaire : est-ce à chacun sa tente ? Non, tant que le Christ n’est pas revenu, nous ne pouvons pas rester chez nous, rester entre nous, chacun dans sa tente en se disant que la vie est formidable. Il faut élargir l’espace de nos tentes pour accueillir l’autre ! Le mouvement de l’Eglise, c’est justement lorsque nous sommes envoyés en mission, y compris et surtout quand nous n’avons pas du tout envie. »
Pour Samuel, évangéliser dans la rue est beaucoup plus facile qu’on ne l’imagine
Autour de la vieille caisse en bois se trouvent les missionnaires qui interpellent celui qui prêche ou répondent aux questions des passants. Cette scène est pour eux une énigme, elle suscite en eux de nombreuses interrogations. Les conversations vont bon train : elles peuvent durer quelques minutes ou plusieurs heures et se prolonger ensuite au Jaurès, l’un des bars du coin. Dans ce quartier très cosmopolite du XIXe arrondissement, il y a de tout : des musulmans pratiquants, des Juifs pratiquants, des bouddhistes pratiquants : un temple bouddhiste se trouve à trois cent mètres de la place, également l’un des plus grandes « maison du Royaume » des Témoins de Jéhovah… Autant dire qu’il y a de longues discussions en perspective ! Mais il y a aussi des incompréhensions : soudain, un homme à vélo s’arrête devant Samuel et l’apostrophe violemment : « Vous n’avez pas honte de faire du prosélytisme ? ». Samuel tente de le rassurer sur la nature de ses intentions, en vain, il s’éloigne furieux. A ceux qui évangélisent alentour, d’autres passants resserviront de nombreuses tartes à la crème sur la foi, comme le refus des intermédiaires (l’Eglise), les guerres de religion, les croisades, le pape et le préservatif, ou encore l’Inquisition… Mais tout cela ne décourage pas nos missionnaires de la rue, bien au contraire : cela leur révèle les questionnements de ceux qui sont loin de Dieu et invite à trouver des réponses… souvent pour la prochaine fois.
Samuel nous explique qu’il faut du temps : « Nous ne choisissons pas le moment où Dieu va entrer dans la vie de quelqu’un, puisque nous nous efforçons de nous accorder au tempo de Dieu ! Chacun sa route. De même, l’un d’entre nous a mis dix ans pour passer de simple passant à témoin du Christ en montant sur la caisse : nous ne l’avons jamais obligé à quoique se soit. Là est le temps de Dieu, qui ne nous appartient pas. Nous sommes en quelques sortes les témoins d’un éventuel accident de la vie, au bon sens du terme, mais rien de plus. »
Le plus difficile : ne pas se décourager le jour « J » au moment du départ !
« J’ai toujours dix mile bonnes raisons de ne pas y aller, persuadé en premier lieu que ça ne sert rien, que je n’ai pas besoin de faire cela pour être un bon catholique, raconte Samuel. La tentation est donc de faire une liste de toutes ces bonnes raisons, y compris le risque de se faire casser la gueule, ce qui ne m’est encore jamais arrivé en quinze ans ! Mais rappelons-nous les paroles du Christ pour Pierre qui n’arrive pas à pêcher du poisson : Il lui propose de jeter ses filets au mauvais endroit à la mauvaise heure, ce qui paraît à première vue complètement voué à l’échec. Mais par un acte de foi insensé, Pierre Lui obéit et finalement les filets sont pleins à craquer, jamais ils n’avaient ramassé autant de poissons… C’est bien le contraire que se dire « ça va être génial, je le sens, je vais parfaitement savoir quoi dire et ça va marcher ! » – ce qui d’expérience n’est pas bon signe, entre nous. Alors on peut encore s’estimer être à la mauvaise heure et au mauvais endroit, mais l’essentiel est de rester authentique avec le Seigneur : « Seigneur, Tu sais tout, je n’ai pas envie d’y aller, je ne vais pas être à la hauteur, mais j’y vais sur Ta parole ». C’est comme si le Seigneur te demandait de te jeter à l’eau : va-t-Il pour autant te laisser te noyer ? Au pire, tu boiras la tasse. »
Comment savoir si le Seigneur nous demande de nous jeter à l’eau ?
« On aimerait toujours que le Seigneur nous fasse un signe clair ou nous offre un rêve mystique dans le style « rendez-vous samedi 15h au Trocadéro ! », nous rappelle Samuel. Mais c’est toujours par un moyen humain que le Seigneur nous appelle, par exemple quelqu’un qui nous donne une invitation : « As-tu déjà fait du porte à porte ? Ca te dirait de nous rejoindre ? ». On peut y aller à reculons mais en général cela vient de manière naturelle, on peut même refuser dix fois, cent fois cette invitation à vivre une aventure époustouflante, magnifique et qui nous dépasse complètement… Dieu nous met à tous dans le cœur un appel à Le faire connaître, car il est impossible d’être ami du Seigneur sans parler de Lui. Comment alors savoir qu’on est appelé ? Nous aimerions décider du moment le plus opportun, mais le vrai témoignage arrive sans qu’on le sache : Dieu Lui-même décide du moment. Si Dieu a permis que cela se fasse maintenant, c’est que c’est le moment favorable, c’est que c’est maintenant l’heure du Salut ! Interpellée, la personne a toujours la liberté de répondre, même si c’est là pour elle l’occasion rêvée… Il y aura d’autres occasions qui se présenteront à elle si nous nous donnons la peine de nous mettre tous en route. « Aujourd’hui, pour vous le Salut est arrivé dans cette maison », répète souvent le Christ dans l’Evangile. « Aujourd’hui, pour toi, le Seigneur est venu te sauver ! » D’ailleurs, quand Jésus arrive quelque part, Il vient déjà rompre le déroulement d’une histoire… c’est une dimension eschatologique. Dieu aussi peut avoir envie d’intervenir dans une vie, comme dans celle de Saint Paul : « pourquoi me persécutes-tu ? ». Lorsqu’Il prêchait, le Christ produisait toujours un électrochoc, et nous retrouvons de nombreux passages de l’Evangile qui le soulignent : « jamais personne ne nous avait parlé ainsi ». Dans son livre « Pour un Christianisme de choc » paru en 1942, le jésuite Louis Beirnaert explique que le plus grand service que l’Eglise peut apporter au monde est de continuer cet électrochoc pour réveiller les païens : le cours de l’Histoire a changé par le Christ ressuscité ! »
Pour Samuel à qui il faudrait un porte-voix, il n’y a pas de professionnels de l’apostolat. « Pas la peine d’attendre d’être saint pour témoigner. Le TGV pour la sainteté, c’est le témoignage, car si je témoigne, je me sanctifie. Le Pape témoigne pour répondre à un appel, il n’a pas la sainteté en kit ! Ce n’est pas parce qu’on est saint qu’on témoigne. Le minimum vital est de croire ce que l’Eglise croit. Quand nous évangélisons avec des protestants, le minimum absolu est d’avoir en commun le kérygme. Nous souhaitons de plus profond de notre cœur que les autres trouvent ou retrouvent la lumière du Christ. Si la lumière est bonne pour moi, elle est bonne pour tout homme ! Si Jésus est mon sauveur, Il est le sauveur de tout homme, pas simplement de toi ou de moi ! Il n’y a pas plusieurs sauveurs, un pour les journalistes, un pour les informaticiens, un pour les joueurs de pétanque… il n’y en a qu’un seul ! »
L’évangélisation de rue, une méthode qui reste trop « Témoins de Jéhovah » ?
Samuel conseille de ne pas se braquer sur l’apostolat de rue. « C’est une forme parmi d’autres ! s’exclame-t-il. Etre l’ami du Seigneur, c’est parler de lui et répondre à sa demande, nous n’avons pas l’initiative. Ce ne sont pas les Témoins de Jéhovah qui ont eu l’idée d’aller parler de Dieu à des inconnus. Les premiers s’appelaient les apôtres… Ce qui nous distingue d’eux, c’est que nous n’avançons pas masqués : nous jouons au contraire la transparence en affichant clairement que nous sommes catholiques. De plus nous n’avons pas réponse à tout, en particulier nous ne sortons pas la fiche 36 si nous sommes en face d’une personne qui a des soucis de famille. Nous savons dire aussi « je ne sais pas ! ». »
Des fruits peu visibles mais bien présents
« Nous semons beaucoup, raconte Samuel, mais ce que nous voyons n’est pas à la mesure de ce qui se passe en réalité. Et de toute façon, nous ne cherchons pas à comptabiliser la grâce : « j’ai parlé pendant trois heures, ce qui me donne X conversions ! ». Non, Dieu ne voit pas comme cela. Je peux cependant donner quelques exemples parmi d’autres : un jour, une jeune fille pianiste qui venait du Maroc passait sur la place. Elle s’arrête et se met à pleurer. Elle vient goûter avec nous et nous lui demandons ce qui lui est arrivé. « Je passais, mais en entendant le nom de Jésus je me suis mise à pleurer ! ». Nous ne savons pas ce qu’elle est devenue par la suite, peu importe, elle a sûrement continué son chemin. Une autre fois un avocat égyptien de passage à Paris s’arrête net… touché par la grâce, il demandera le baptême. »
« Profondément, je ne sais pas si ça aide les autres, mais c’est un formidable moteur de ma foi ! Pour moi, l’apostolat c’est comme passer à la machine à laver, au sèche linge et au repassage : j’en ressors beaucoup plus serein, plus pacifié, avec la joie immense d’avoir peut-être aidé quelques personnes à rencontrer Dieu. Il n’y a rien de plus beau que voir naître quelqu’un à Dieu, comme une fleur qui s’ouvre ou un papillon qui sort de sa chrysalide. »
Retrouver Samuel et la communauté Aïn Karem pour la prochaine évangélisation de rue : contactez Anuncioblog, (anuncioblog@gmail.com), qui transmettra.
Copyrights (c) Anuncioblog 2008
Encore un mot...
Ce blog est édité par l'association Lights in the Dark, qui ne vit que de dons. Pour nous aider à transformer des vies grâce à Internet, faites un don, maintenant : cliquez ici pour faire un don.
bravo ! je trouve les chrétiens et les cathos en particulier (j’en suis une) si frileux, si peureux, presque honteux d’être croyants pratiquant-
Pour ma part, je les secoue quand je peux, et j’affiche ma foi haut et fort, croix et médaille au cou. Et ma voiture est une petite chapelle ambulante. L’été j’ouvre les fenêtres et je traverse les villages, le dimanche matin en particulier, avec le chapelet. ou des chants de louange.
Quand j’étais jeune je faisais partie des camps mission, ns allions dans les campings et les boites de la côte évangéliser et témoigner.
Voila
Que Dieu vs bénisse et vous protège !
Bravo Samuel
Je suis de tout coeur avec vous
Bravo oui bravo. Enfin de l’air pour la Parole, laissons enfin l’Esprit Saint se dire dans nos visages et nos actes. Je suis une personne handicapée, je vous porte dans la prière. A quand l’évangélisation des handicapées avec vous valides. En ce temps ou se dit l’amour jusqu’en croix source de la vrai Vie. Toute mon amitié Angélo
PS. En fait, ça me fait penser à un mélange étrange de pub des chocosuisses et d’un catalogue petit bateau…
Que le Seigneur vous accompagne dans votre mission d’évangélisation. Gloire à Jésus pour votre action.
Néhémie 8/10 ; ne vous affligez pas, car la joie de l’Eternel est votre force.
Actes 18/9 à 10 : Le Seigneur dit à Paul en vision pendant la nuit : Sois sans crainte, mais parle et ne te taispas, car moi, je suis avec toi et personne ne mettra la main sur toi pour te faire du mal : parce que j’ai un peuple nombreux dans cette ville.
Actes 19/20 : C’est ainsi que, par la force du Seigneur, la parole se répandait efficacement.
Bon courage mon frère.