Fr. Thierry-Dominique Humbrecht, o p
Fr. Thierry-Dominique Humbrecht est religieux dominicain, docteur en philosophie, du couvent de Bordeaux. Son dernier ouvrage paru est Lire saint Thomas d’Aquin (nouvelle édition), Ellipses, déc. 2009. Pour lui, l’évangélisation est une urgence, car la foi se transmet et s’enseigne. Un entretien sans concession publié dans le numéro du 10 avril de l’Homme Nouveau, que nous republions ici.
Jean-Baptiste Maillard : En 2006, vous avez écrit un livre intitulé « L’avenir des vocations ». Quel était votre constat ?
Fr. Thierry-Dominique Humbrecht : Que l’on n’osait pas en parler en public, ou sous cape, ou avec trop peu de profondeur et même de courage. Il fallait libérer le discours et, à travers lui, l’analyse des causes, des effets, des problèmes et des solutions.
J.-B. M. : Ce constat a-t-il changé depuis ?
T.-D. H. : Trop peu ! Tout le monde a la trouille : les clercs de ce qui va arriver dans les prochaines années, les laïcs de ce que cela pourrait exiger d’eux. Il y a aussi des résistances, comme l’introduction d’une théologie où le rôle du prêtre est modifié en profondeur, relativisé quant à son pouvoir sacramentel d’agir « dans la personne du Christ », au profit d’une fonction d’animation. Ce qui prélude au remplacement des prêtres par des laïcs. Ce n’est alors plus le sacerdoce catholique.
J.-B. M. : « La foi s’enseigne », disiez-vous : est-ce toujours vrai ?
T.-D. H. : La foi se transmet et s’enseigne. La foi ne se réduit pas à l’expérience qu’on a d’elle. Elle nous est commune, elle n’est pas seulement individuelle, elle se reçoit du Christ, de l’Église, se professe dans le Credo.
J.-B. M. : Comment naît la foi ?
T.-D. H. : D’une annonce explicite de l’Évangile, de la célébration de la liturgie, de la vie sacramentelle, de la charité théologale vécue dans l’Église. Comme depuis le mandat de Jésus à ses Apôtres. À cela s’ajoute la vie chrétienne en famille et la relance de l’école catholique, les deux en péril grave.
J.-B. M. : Quels sont les symptômes d’une crise de la foi ?
T.-D. H. : L’apostasie silencieuse dont parlait Jean-Paul II. On est passé en quarante ans, en France, de 30 à 3% de pratiquants réguliers. En outre, les chrétiens se sont laissés intimider par le laïcisme. Ils n’osent plus vivre en chrétiens dans la sphère publique. La culture a changé de bord, les médias distillent un certain anti-catholicisme, et nous avons laissé la culture chrétienne tirer sa révérence. On parle aujourd’hui d’une « exculturation » des catholiques. Il faut privilégier les métiers de transmission de la culture (professeurs, chercheurs, éducateurs, journalistes, écrivains, artistes), plutôt que ceux seulement lucratifs. Je dis cela pour les garçons, pas seulement pour les filles !
J.-B. M. : Comment y remédier ?
T.-D. H. : La fidélité à l’Église, la prière instante, la formation catéchétique personnelle (lisons le Catéchisme de l’Église Catholique en entier !), un zeste de culture tout court, et l’évangélisation.
J.-B. M. : Que pensez-vous du débat sur la visibilité de l’Église et l’évangélisation ?
T.-D. H. : Dans un monde post-chrétien, rendons l’Église visible. Finissons-en avec la clandestinité.
J.-B. M. : Que diriez-vous à un jeune qui se pose la question de la vocation à la prêtrise ?
T.-D. H. : Aimes-tu le Christ au point de lui donner ta vie, renonçant à la vie de tout le monde, celle que tes parents et tes amis (même chrétiens…) rêvent pour toi ? Aimes-tu l’Église au point de faire ton « métier » de la servir ? Aimes-tu les âmes, que tu veuilles passer ta vie à chercher à les sauver ? Tout cela, au lieu d’une vie chrétienne mariée, celle d’un laïc dont le métier restera profane pendant un demi-siècle, quoi qu’on en dise ? Considérons l’agenda d’une vie.
J.-B. M. : Que pouvez-vous nous dire de votre vie de prêtre ?
T.-D. H. : Comme prêtre, tout tient dans la messe et dans la confession. Comme religieux dominicain, dans la consécration, la vie contemplative, la vie commune, le travail de la théologie et la prédication doctrinale.
J.-B. M. : Avez-vous un souvenir marquant ?
T.-D. H. : Une confession est toujours marquante. Comme me le disait un magistrat, nous, prêtres, avons face à nous un pénitent qui se repent, alors que les juges ont un coupable qui se débat !
J.-B. M. : Les vocations naissent des familles chrétiennes : que faut-il, selon vous, pour être une famille vraiment chrétienne ?
T.-D. H. : Prier, si possible ensemble ; montrer Jésus par des choses à voir, des gestes, une transmission, une parole. C’est simple d’empêcher les enfants de se poser la question d’une vocation consacrée : n’en parler jamais, les enfouir sous les priorités matérialistes, l’ambition, la mondanité et le sexe. L’année du prêtre est une bénédiction pour nos esprits rouillés.
J.-B. M. : Pensez-vous que l’Église de France a réellement emboîté le pas d’une nouvelle évangélisation ?
T.-D. H. : Oui, mais avec beaucoup de retard. Paul VI l’a lancée, en 1975, et Jean-Paul II lui a donné son nom en 1979. Trente ans pour se bouger, c’est deux générations perdues de trop. Les initiatives apostoliques les plus originales sont venues des mouvements spirituels récents plus que des institutions assises et financées.
J.-B. M. : Que manque-t-il à l’Église de France pour évangéliser davantage ?
T.-D. H. : Pour les nouveaux évangélisateurs, une formation spirituelle et théologique. Nous Français, gens de culture, restons anti-intellectualistes pour les choses de la foi, et donc des sous-doués du message, avec une fausse opposition entre intellectuel et spirituel. Manque la conviction d’avoir à s’y mettre de façon continue. Ce courage change une vie.
J.-B. M. : L’évangélisation est-elle un sujet tabou au point qu’on entend encore peu ce terme, au profit de la mission ?
T.-D. H. : La mission est un terme équivalent, dès qu’il s’agit d’être envoyé pour prêcher l’Évangile. Ce qui ne l’est pas, c’est « le levain dans la pâte », le mutisme, le soi-disant exemple qui prétend suffire à la transmission, le dialogue où l’on ne dit rien de constructif. Avec cette chape de silence, on a déchristianisé la France, au moment où, au contraire, sous la pression des idées les plus corrosives, il fallait d’un côté, affronter et, de l’autre, annoncer, dire au nom du Christ. La foi s’annonce ou meurt.
J.-B. M. : Réfléchissons-nous assez aux cibles de notre évangélisation et à la façon dont nous pouvons les toucher ?
T.-D. H. : Pas assez quand on en reste aux schémas mort-nés des années 60. Trop quand on se focalise sur les instruments et non sur la vérité du message, ni sur la vérité de la vie du témoin. Primauté du spirituel ! Il faire tout ce que l’on peut, le faire bien et avec les instruments intellectuels, spirituels et aussi techniques les plus affûtés. Mais la seule vraie question est : qui s’y met ?