Pierre Benoit : « L’évangélisation n’est jamais le fait d’une musique ou d’un média en tant que tel »

Pierre Benoit - pop louange

Alors que la Conférence des évêques de France est sur le point de publier un rapport de réflexion sur l’articulation de la musique contemporaine avec la pastorale des jeunes, le coordinateur de cette réflexion, Pierre Benoit(1) prépare un livre sur ce sujet à paraître prochainement aux éditions des Béatitudes. Il a bien voulu répondre en avant-première aux questions de Alex Lauriot-Prévost pour France catholique et Anuncioblog. Pour lui, si l’exultation dans la louange est une expérience forte d’abandon à Dieu, l’évangélisation n’est jamais le fait d’une musique ou d’un média en tant que tel, mais de l’annonce de la Parole de Dieu et du Salut en Jésus-Christ, de la célébration liturgique authentique et du témoignage évangélique par la charité.

Alex Lauriot-Prévost : Pourquoi l’épiscopat a-t-il engagé une réflexion approfondie sur ces questions ?

Pierre Benoît : Par souci des jeunes, cette réflexion est en fait de l’initiative du Conseil pour la pastorale des jeunes et des enfants de la Conférence des évêques de France, conduit par Mgr Rivière, évêque d’Autun. En interrogeant les jeunes sur ce qui leur importaient pour vivre plus intensément et prier durant la liturgie, il est apparu que la qualité musicale venait en tête des indications. Evidemment, la musique n’est pas pour eux ‘la’ source de la vie chrétienne, mais elle semble favoriser leur engagement dans la prière. Cette indication a conduit ce Conseil à un discernement sur les pratiques musicales chrétiennes contemporaines. Qu’est-ce qui est valable et pourquoi ? Ce discernement appartient à la responsabilité ecclésiale de l’épiscopat soucieuse du bien des jeunes pour leur foi et soucieuse de coopérer avec les moyens providentiels présents dans notre temps.

ALP : Cet intérêt et cette prise de conscience ne sont-elles pas très nouvelles pour nos évêques ?

PB : Les évêques se soucient depuis quelques siècles de l’accompagnement des jeunes et de l’expression musicale chrétienne ! La pop-louange prend cependant place dans une expérience culturelle à laquelle beaucoup d’évêques et de pasteurs sont étrangers ; il y a de plus un contentieux qui dure entre l’Eglise et le rock, dont la dénonciation des musiques sataniques est la part émergée. La question se pose légitimement de la profondeur spirituelle des expériences émotionnelles liées à la pop-louange : y a-t-il là une manipulation, une expérience d’exaltation superficielle éloignée du sérieux d’une foi responsable, ou encore seulement une tentative ponctuelle, démagogique et sans lendemain pastoral pour rejoindre les jeunes ? Ce sont des questions d’éducateur ou de pasteur lucide, proche des jeunes mais aussi exigeant pour eux.

ALP : Quel est le fruit de vos travaux en termes de discernement et de proposition sur la fonction d’évangélisation de ces musiques ?

PB : L’évangélisation n’est jamais le fait d’une musique ou d’un média en tant que tel, mais de l’annonce de la Parole de Dieu et du Salut en Jésus-Christ, de la célébration liturgique authentique et du témoignage évangélique par la charité. Croire au pouvoir missionnaire de la musique est une erreur et conduit à la déception ; cela est aussi vrai de la musique grégorienne ou des cantates de Bach. L’amateur de telles musiques ne devient pas chrétien parce qu’il les écoute ; d’autres médiations s’imposent pour conduire au Christ. C’est pourquoi nous insistons sur l’authenticité de la mise en œuvre de ces pratiques musicales : c’est par la foi et la conversion personnelle des artistes, par la qualité artistique des textes et des musiques, par un souci de communion ecclésiale que ces musiques et ces groupes porteront des fruits missionnaires. Nous ne sommes sans doute qu’au début d’un processus nouveau dans l’Eglise catholique : le Conseil pour la pastorale des jeunes et des enfants est donc convaincu qu’il faut accueillir, promouvoir, accompagner ces pratiques musicales et en user pour l’évangélisation.

ALP : Quels fruits peut-on attendre alors spécifiquement d’un usage la pop-louange pour l’évangélisation ?

PB : Les musiques actuelles conduisent à des comportements dansants et émotionnels : elles aident à faire l’expérience que Dieu est source de vie dans notre corps et notre subjectivité émotionnelle ; elles participent pour leur part à faire l’expérience de sa paternité, de son amour et de la vie de l’Esprit Saint. L’exultation dans la louange est une expérience forte d’abandon à Dieu, et témoigne d’une puissance de vie touchant le cœur et le corps : en cela, il touche particulièrement la jeunesse dont la conscience de soi est certes plus émotionnelle que rationnelle. Les détracteurs de ces musiques partent du principe que l’émotion est d’emblée irrationnelle et donc suspecte, ce qui est erroné : dans un milieu équilibré, comme l’est généralement celui de l’Eglise, l’émotion peut être porteuse d’un sens profond et vrai lorsque la Parole de Dieu l’éclaire et l’oriente, lorsque l’accompagnement pastoral conduit à dépasser cette seule émotion pour faire grandir et enraciner la foi, la prière et la conversion de vie.

ALP : Vos travaux mettent en évidence une réalité plus vaste et diversifiée que la seule pop-louange ?

PB : En effet, nous avons préféré utiliser l’expression « musiques actuelles chrétiennes », plus ouvert et objectif que « pop louange ». En fait, nous avons discerné quatre usages pastoraux des musiques actuelles chrétiennes : premièrement celle de spectacle devant des publics divers, comme le font Aquéro ou Théos ou Delphine ou Grégory Turpin, et bien d’autres ; il s’agit d’un témoignage de chrétiens par la musique, comme d’autres le font par la peinture ou l’écriture. D’autres organisent des concerts de louange, comme Glorious, Exo ou Hillsong, invitant des assemblées à partager l’expérience de la louange et de la prière ; la pastorale est là confiée aux membres du groupe. Troisièmement, on use des musiques actuelles dans des paraliturgies, comme par exemple devant le pape durant les JMJ ou aux rassemblements du MEJ. Les musiciens sont alors soumis aux attentes des pasteurs. Quatrièmement, on utilise les musiques actuelles dans la liturgie elle-même, comme Push ou Laurent Gribovsky au Frat de Lourdes.

ALP : La responsabilité pastorale de l’Eglise ne peut être la même dans chacune de ces situations ?

PB : Effectivement. Chaque cas doit être discerné avec des éléments spécifiques : l’obéissance aux normes liturgiques appartient par exemple à la liturgie mais non au concert de louange ; le degré de fidélité dogmatique ne peut être exigé de la même manière dans une paraliturgie ou un concert-spectacle ; la question du niveau sonore n’est pas le même dans tous les contextes. En revanche, nous avons souligné que dans tous les cas, le témoignage chrétien réclame que les paroles puissent être audibles, en particulier dans un concert.

ALP : Quelles sont donc les propositions concrètes faites à l’épiscopat et aux artistes concernés qui découlent de cette réflexion ?

PB : Tout en invitant chacun au discernement et à la vigilance, il y a une double priorité des rédacteurs de ce document : inviter la hiérarchie pastorale à comprendre et accueillir favorablement les musiques actuelles chrétiennes, et encourager les groupes concernés dans leur démarche chrétienne et artistique. Nous insistons sur ce que ces musiques peuvent apporter dans l’expérience ecclésiale et spirituelle pour tous les chrétiens. Plus concrètement, il est proposé que l’Eglise en France accompagne les artistes de ces groupes aux plans professionnel et pastoral avec des propositions de formations musicales, liturgiques,… mais aussi celles de multiplier les scènes, de proposer un label et d’ouvrir une agence artistique chargée d’un réseau. L’idée est que cet accompagnement se structure au niveau des provinces ecclésiastiques car l’expérience et les avancées sur ces questions sont hétérogènes en France ; certaines de ces propositions sont d’ailleurs déjà mises en œuvre dans plusieurs diocèses, signe d’un intérêt concret des communautés catholiques à l’égard de ce phénomène.

ALP : En conclusion, ces musiques sont-elles selon vous une chance pour l’Eglise ?

PB : Ce don particulier est puissance de vie, et Dieu fait aujourd’hui ce don à son Eglise. « Jeunes et vieux se réjouiront ensemble » dit le prophète Jérémie : qui que nous soyons, n’hésitons pas à accueillir ce don comme tel et avec action de grâce.

(1) Pierre BENOIT est diacre, agrégé de l’Université et docteur en philosophie, père d’une famille nombreuse, il a dirigé l’Institut des Sciences de la Famille à l’Université catholique de Lyon et a coordonné un premier document signé par la CEF intitulé : Simples questions sur la vie et la famille paru en 2005 aux éditions Satisfecit.

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