De la mission à la première annonce : sémantique de l’évangélisation

« La paroisse est-elle un lieu de nouvelle évangélisation ? ». La question peut paraître aujourd’hui d’autant plus banale qu’elle est posée par le premier quotidien catholique français, sous le titre d’un article publié à l’occasion du colloque intitulé « paroisse et nouvelle évangélisation », organisé à Rome en janvier dernier… Pourtant, que de chemin parcouru, dans le giron de l’évangélisation, si l’on se risque à mesurer la sémantique de la mission et son évolution, dans notre jargon de ces cinq dernières années, comme puissant révélateur d’une prise de conscience naissante…

Retour en arrière. En 2002, suite à une rencontre qui s’est avérée par la suite déterminante, j’intégrais l’équipe de Christicity.com, établie depuis peu à Toulon, pour participer à un tout nouveau portail consacré à la « Nouvelle Evangélisation », une expression alors très peu connue en France, bien que lancée 20 ans plus tôt par un pape d’origine polonaise. Pour la petite histoire, c’est là-bas que naquit le terme « pop louange », désignant une musique volontairement pop rock mais surtout plus louange que rock, et dont de nombreux groupes de musique chrétienne, pas seulement catholiques, se prévalent aujourd’hui. Le groupe Glorious allait justement se lancer sous notre toit : l’aîné des trois chanteurs, Aurélien, était l’un des fondateurs de notre nouveau site…

Cet été-là, je pris l’habitude de guetter inconsciemment l’expression « évangélisation » dans les homélies, les bulletins paroissiaux et les articles de la presse chrétienne sur lesquels je tombais. En effet, j’avais constaté que son utilisation, plutôt qu’un autre terme, en disait beaucoup sur la part de spiritualité missionnaire de tel ou tel croyant – en tout cas, cela me touchait de façon plus personnelle. Ce genre de chlorure-de-potassium-révélateur se faisait encore rare au fond des églises et nous entendions encore surtout parler de mission, ce qui était déjà pas mal, comme précipité. Par la « magie » d’Internet, Christicity publia de très nombreux interviews d’acteurs de l’évangélisation en France et dans le monde, leur offrant ainsi une vaste tribune, notamment grâce aux milliers d’abonnés de notre légendaire newsletter, nos forums et notre boutique en ligne. Du jamais vu dans la cathosphère.

Comme nous avions confié le développement de notre site à une société extérieure, cela avait coûté très cher à notre association, mais le résultat était très professionnel pour notre jeune troupe de laïcs engagés. Créer un site aussi dynamique était révolutionnaire à cette époque balbutiante des nouvelles technologies de l’information, surtout dans la bulle catholique. (Pour les connaisseurs, nous utilisions 4D sous Mac et il n’y avait pas encore le portail Inxl6 !). C’était d’autant plus audacieux que le fond semblait presque désinvolte, voire identitaire, du moins presque fanatique – et pourtant, bien sûr, rien de tout cela !

Comme rançon de cette gloire presque toute rendue au Christ, certains organismes ecclésiaux voyaient d’un mauvais oeil le fabuleux succès de notre entreprise et nous mettaient tout bonnement des battons dans les roues. En effet, notre portail avait du mal avec l’institution, ou du moins certains de ses responsables. Pour ces cathos plus soucieux de bien faire que d’évangéliser avec folie, et, disons-le carrément, emprunts d’un certain cléricalisme voire même de diocésainite, la nouvelle évangélisation n’était qu’une mouvance faiblarde de l’Eglise en France, dans laquelle baignait pêle-mêle les traditionalistes, les charismatiques, ceux qui en font « l’affaire de leur vie » et certains illuminés manquant de discernement. Du poids de l’histoire de l’Eglise et de l’élan donné par Jean-Paul II dans sa volonté de trouver de nouveaux moyens pour annoncer le Christ (cf D’où vient la Nouvelle Evangélisation ?), ils se moquaient bien. La sociologie et l’ecclésiologie – aidés par Régis Debray, maître en la matière – permettaient d’expliquer ce que l’on ne comprenait pas soi-même, peut-être par manque de foi, en tout cas par ignorance. La nouveauté fait peur surtout lorsqu’elle dérange… Et si nous parlions plutôt d’anesthésiologie de la conscience missionnaire ?

Christicity fit des émules, comme Catholique.org et d’autres sites Internet liés de près ou de plus loin à la mission. Les sites changent, les concepteurs restent concepteurs (venant de terminer le nouveau site de KTO avec l’excellent appui de la société Zeni Corportation, je me suis remis à mon compte, en proposant des blogs…).

Aujourd’hui, pour finir cette longue tribune, nous entendons beaucoup plus souvent parler d’évangélisation, parfois aussi à mauvais escient, ou sans réelle signification au milieu d’un courrier – comme si c’était plus vendeur ! – mais nous l’entendons de plus en plus distinctement. Le terme « première annonce » commence aussi à nous parvenir aux tympans : lors d’une conférence de presse à laquelle je participais pour le congrès Ecclesia 2007 à Lourdes, une journaliste de La Vie demanda aux organisateurs pourquoi les cathos n’hésitaient plus à parler d’« évangélisation » alors qu’on avait glissé de « mission » à « annonce du Christ ». Je demandais ensuite au responsable de la catéchèse en France comment répondre à l’appel de Benoît XVI, qui reconnut avec une grande honnêteté : « la première annonce, c’est une priorité, mais on se sait pas faire ».

Enfin, la nouvelle évangélisation est elle aussi mieux comprise. Quand Benoît XVI s’exclame depuis Rome, lors de l’ouverture de l’année académique, « L’Eglise attend que la nouvelle évangélisation répande partout le message évangélique », comment pourrions-nous y voir autre chose derrière, sauf à délibérément vouloir dormir sur nos deux œillères ?

Mission, évangélisation, nouvelle évangélisation : il faudrait maintenant réfléchir à cette première annonce, et comme dirait Benoît XVI, aux processus d’initiations, à l’appel à la conversion et à l’intégration dans l’Eglise. Je soumets l’idée suivante : pourquoi pas lancer un « Grenelle de l’évangélisation » dans le but de réfléchir à de nouvelles formes concrètes d’initiations à la foi ? Aux prêches directes envers les non-croyants sur les parvis, dans nos médias et à l’extérieur ? Au kérygme, à la prédication directe, au prosélytisme au sens étymologique (du grec « aller vers »), oserais-je dire à l’Esprit Saint, au chapelet (Marie, étoile de l’évangélisation), à l’adoration eucharistique (qui nous mène à l’annoncer) ?

Car si tout le monde est désormais à peu près d’accord sur l’urgence d’évangéliser aujourd’hui notre vieille Europe, après des années de théologie d’enfouissement, la plupart d’entre nous ignore encore comment s’y prendre, faute d’expérience. Il faut déjà reconnaître nos faiblesses en la matière, se mettre à l’écoute du Seigneur, et… lire l’exhortation Evangelii Nuntiandi, qui détaille assez bien toutes ces questions pratiques.

Posée en d’autres temps par Jean-Paul II lorsqu’il a voulu cette nouvelle évangélisation, « nouvelle dans son ardeur, dans ses méthodes, dans son expression », il y a fort à parier que cette question, ce « comment évangéliser ? », sera LA grande réflexion à mener sur ce front dans les années qui viennent. Ou comment « sortir du bocal », pour reprendre les mots d’un évêque dans Famille Chrétienne, et aller toucher ceux, qui, bien plus nombreux, n’ont jamais entendu parler de Celui qui est le Chemin, la Vérité, et la Vie (Jean 14,6).

Encore un mot...
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1 réflexion sur « De la mission à la première annonce : sémantique de l’évangélisation »

  1. HM

    je vous signale une remarquable conférence du philosophe bouddhiste Fabrice Midal, qui a eu lieu le dimanche 9 mars à Notre-Dame ; particulièrement le développement final sur le feu que le Christ voudrait voir allumé (mettant d’ailleurs en cause, au passage, la propension que les religions ont à nier le feu…). Régis Debray et ses épigones qui voient dans ce « feu sacré » la source de tous les dangers, en particulier du fanatisme religieux, et qui militent pour une laïcité « coupe-feu » n’ont qu’à bien se tenir ! « Car seul à l’endroit du brasier tout est nécessaire » conclut Fabrice Midal.

    On ne le suivra cependant pas sur sa vision critique et restrictive de la raison : au contraire de ce que pense Midal, l’Église ne parle pas comme « les scribes et les pharisiens ». À preuve, l’encyclique Deus caritas est qui approfondit Fides et ratio ; elle dit bien la folie raisonnable, une folie de la raison elle-même ; cette folie est bien à l’œuvre dans l’amour de Dieu pour les hommes, amour passion, amour-eros de Dieu. Et cette « ample » raison-là, avec sa part de feu, est médiation vers Dieu.

    La conférence : http://catholique-paris.cef.fr/Conferences-de-careme-2008,5981.html

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