Haïti : nourrir l’espérance avec la Parole

Alors que l’Aide à l’Eglise en Détresse organise à Paris le 24 mars la nuit des témoins (lire ici), nous reprenons une tribune de Mario Bard de l’AED Canada sur situation de l’Eglise en Haïti. Il explique que si les jeunes sont souvent laissés à eux-mêmes, l’Eglise d’Haïti s’est « résolument mise à l’heure de la nouvelle évangélisation » depuis la rencontre des évêques d’Amérique latine, du Sud et Carabaïbes à Apparecida au Brésil en 2007. Il rapporte aussi les propos de Mgr Louis Kébreau, archevêque de Cap-Haïtien et président de la Conférence épiscopale haïtienne, selon qui un changement s’opère actuellement par la reconfiguration de la paroisse qui « devient le lieu de l’annonce du kérygme, de l’annonce de la Parole. » Mgr Kébreau considère que c’est « là qu’il y aura tout un travail à faire de conscientisation pour pouvoir conduire la Parole au cœur de la vie. » Des paroisses qui seront appelées à faire place à des fraternités, à des petites communautés, « pour une écoute de la Parole à partir du quartier où se trouvent les gens ».

De passage à l’Aide à l’Église en Détresse, Mgr Louis Kébreau, archevêque de Cap-Haïtien et président de la Conférence épiscopale haïtienne, ne se fait pas d’illusion sur la situation de son pays : la crise est perpétuelle. Malgré tout, l’Église du pays continue à vouloir jouer son rôle: celui de redonner l’espérance à tout prix pour qu’un jour, peut-être…

L’ouragan Ike nous donnait cet automne de nouvelles images d’Haïti, mais avec l’impression du déjà vu. Maisons sous la boue, villes et villages détruits, des gens qui, visiblement, sont dépassés… et seuls dans leurs malheurs. « Quand vous avez un gouvernement démissionnaire qui fait des discours à longueur de journée, on se demande où est l’engagement », estime sans ambages Mgr Kébreau. « Je vous avoue que, quelquefois, lorsque j’entends ce discours ‘portoprincien’, ça ne me rejoint pas. Il me semble me retrouver dans un autre pays ou dans une autre île », souligne l’archevêque.

Mgr Kébreau attend-il quelque chose de la communauté internationale qui est déjà présente par la mission de l’ONU en Haïti ? « Personnellement, ce que je trouve très souvent de (la part des fonctionnaire) de cette communauté, c’est qu’ils arrivent à Port-au-Prince et vont toujours voir les mêmes personnes. » Selon lui, il faudrait que les membres de cette communauté aient le courage d’aller en campagne voir ce qui s’y passe au lieu de « se faire ‘emberlificoter’ par des réceptions, des cocktails, des histoires ».

Préférer les dents des requins

La corruption est un « danger » constant sur l’île, partout : dans les travaux publics, dans les aéroports, dans le gouvernement. C’est un mal qui ronge la société composée d’une population qui est jeune : plus de 60 % des habitants ont 24 ans ou moins. « Ces jeunes, qui n’ont pas d’avenir, s’organisent en gang », explique Mgr Kébreau. « Donc, ils sont violents », ils font des « kidnappings et tout ce que vous voulez. » Ces jeunes ont besoin d’être « décloisonnés, de sentir qu’ils sont une personne » avant qu’il ne soit trop tard. « Dernièrement, on a rapatrié 250 personnes qui étaient parties en mer », raconte-t-il. Parmi eux, se trouvaient « beaucoup, beaucoup de jeunes. Mais quand un jeune vous dit qu’il préfère les dents des requins à la misère d’Haïti, il faut vraiment comprendre le désespoir de ces jeunes », insiste encore l’archevêque.

Celui-ci se désole du fait que la plupart ne peuvent avoir accès à la révolution technologique, « cybernétique », qui traverse le monde. Cette jeunesse semble complètement ignorée des autorités gouvernementales, « parce qu’il y a n’a pas la compréhension pour vraiment venir en aide à cette jeunesse. » Une population qui, en plus de cette incompréhension, est aussi touchée par la crise mondiale. En effet, les revenus qui proviennent de la diaspora haïtienne du Canada et des États-Unis sont à la baisse : les gens perdent leur emploi et ne peuvent donc plus envoyer d’argent à la famille restée au pays. Une crise qui s’ajoute donc à la « crise perpétuelle » que vit Haïti.

Réapprendre qui est Jésus

L’Église est toujours très présente dans la société haïtienne. Dans le secteur social certes, comme dans à peu près tous les pays en développement. Par contre, si l’Église d’Haïti a un rôle social, elle s’est aussi résolument mise à l’heure de la nouvelle évangélisation après sa rencontre du 8 décembre 2007, laquelle faisait suite à la rencontre des évêques d’Amérique latine et du Sud ainsi que des Caraïbes, à Apparecida au Brésil (avril 2007). « L’Église c’est la grande dormeuse, il faut qu’elle se réveille », souligne Mgr Kébreau quand on lui parle de la difficulté qu’ont eue les catholiques, dans leur histoire, à s’arrêter pour lire l’Évangile et vraiment l’étudier. « Elle (l’Église), ne pourra se réveiller qu’en écoutant la Parole ». Un défi que tout le personnel pastoral d’Haïti tente maintenant de relever. Tout d’abord par la création d’un centre catéchétique où les prêtres, les religieuses et les religieux, ainsi que les laïcs engagés en pastorale, vont aller se ressourcer, une fois par mois, avec les évêques, afin de mieux comprendre la personne centrale de l’Évangile, et qui devrait l’être pour l’Église : Jésus.

Ensuite, le changement s’opère également par la reconfiguration de la paroisse qui « devient le lieu de l’annonce du Kérygme, de l’annonce de la Parole. » Mgr Kébreau considère que c’est « là qu’il y aura tout un travail à faire de conscientisation pour pouvoir conduire la Parole au cœur de la vie. » Des paroisses qui seront appelées à faire place à des fraternités, à des petites communautés, « pour une écoute de la Parole à partir du quartier où se trouvent les gens ».

Évangéliser les profondeurs

Enfin, dans un pays où le vaudou est encore très présent, la foi n’est-elle pas liée à des preuves de la présence de Dieu, comme des miracles ? Mgr Kébreau estime qu’il nous faut aller plus loin. « Est-ce que vraiment l’Évangile a rejoint mes instincts les plus profonds ? Est-ce que l’Évangile a rejoint tous nos instincts de destruction, de construction ? » Des questions aussi sur la place de l’Évangile dans notre vie : en est-il le « moteur » ? « Qu’est ce que nous savons de l’Évangile ? », questionne-t-il. Des interrogations qu’il lance tout d’abord au personnel pastoral de l’Église : prêtres, évêques, religieux et religieuses. « Parce que nous avons d’abord été beaucoup plus ‘sacramentalisés’ qu’évangélisés », estime Mgr Kébreau. Une évangélisation « qui va nous demander de nous remettre en question… pour vraiment reconsidérer: ‘Qui est Jésus ?’ ».

Un programme pastoral pour Haïti vraiment axé sur la Parole, et « qui va apporter un éclairage pour vraiment » savoir « comment nous situer aujourd’hui, et aider ce peuple à découvrir ce qu’est la vraie foi et non pas la croyance. » La croyance et la foi sont différentes ? « Tout ce que le monde répète, les jargons de la tribu », c’est la croyance. « Mais la foi, elle, est ‘personnalisante’ et elle nous engage à découvrir notre identité comme enfant de Dieu. »

Épilogue

Nous parlions d’Haïti avec Mgr Kébreau. Par contre, ses mots sur la « Parole » sont venus rejoindre l’essentiel de ce que tout chrétien, de Port-au-Prince à Bangkok, devrait peut-être essayer d’atteindre : cette identité « d’enfant de Dieu ». Tout comme les croyants, les ‘ayants foi’ du monde, les Haïtiens pourront construire leur pays intérieur. De cette âme remplie de l’Évangile, la vie jaillira malgré tout et pourra tout construire à l’extérieur. C’est l’espérance ! L’Aide à l’Église en Détresse a soutenu l’an dernier plus d’une cinquantaine de projets pastoraux en Haïti.

Source : AED Canada

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