Le Vendredi Saint de Bratislava

Didier Rance

Didier Rance

Historien de formation, Didier Rance a passé dix ans comme volontaire dans le tiers-monde, puis près de trente au service des chrétiens persécutés, menacés ou dans le besoin avec l’AED (Aide à l’Église en détresse). En 1989, après la chute du rideau de fer, Didier Rance est le premier à recueillir le témoignage des croyants qui ont survécu à la persécution. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, notamment sur les martyrs de notre temps. Ordonné diacre pour le diocèse de Metz, et aussi diacre de rite byzantin, il a reçu le Grand Prix catholique de littérature en 2013. Il continue aujourd’hui d’être engagé auprès des pays de l’Est et enseigne à l’Université catholique d’Ukraine. Interview pour son dernier livre, Le Vendredi Saint de Bratislava.


Anuncioblog : Pourquoi avoir choisi d’écrire un roman ?

Didier Rance :  J’ai publié entre 1991 et 2016 chez divers éditeurs une vingtaine de livres sur les croyants derrière le Rideau de Fer à l’époque de la persécution antireligieuse. La majorité de ces ouvrages rapportent les témoignages d’hommes et de femmes qui ont eu le courage de dire et de vivre leur foi dans tous ces pays, et qui souvent l’ont payé cher, voire très cher, de longues années dans les Goulags et les prisons, où beaucoup de leurs amis sont morts martyrs. Mais je ne sais si beaucoup de jeunes lisent ce genre de livres, et depuis des années, je me posais une question : « Ne faudrait pas trouver une autre façon de faire connaître aux jeunes ces témoignages ? BD, Internet ou, pourquoi pas, roman ? ». Et voici que peu avant Noël 2016, la directrice de la collection Signe de Piste, toujours vaillante quoique octogénaire (la collection, pas la directrice, loin s’en faut !) me demande, à l’occasion du salon des Écrivains catholiques, si je n’aimerais pas écrire un roman pour la jeunesse dans cette collection, rendue célèbre par la saga du Prince Eric et qui continue sa route. En effet, les valeurs qu’elle promeut sont de tous les temps. C’était la réponse à la question que je me posais. D’où ce roman.

Anuncioblog : A qui s’adresse-t-il ?

D.R. : En principe à la tranche d’âge 13-20 ans ou un peu plus, mais la jeunesse étant une question de cœur plus que d’état civil, bref, à tous les jeunes !

Anuncioblog : Qui est Vlado Duda ?

D.R. : Vlado, le héros de ce roman, et ses camarades de classe et leurs familles, sont les seuls personnages que j’ai créés. Le terme même est un tant soit peu impropre : je me suis beaucoup appuyé pour les imaginer sur de nombreux témoignages de jeunes que recueillis à Bratislava et ailleurs en Slovaquie. Presque tous les événements qui surviennent pour Vlado et presque toutes ses actions (et de même pour ses camarades) se sont réellement produits : j’ai condensé en eux les témoignages reçus de nombreux jeunes (et de même pour ce que j’écris sur les membres du Parti ou les agents de la terrible Sécurité d’État, police politique du régime), que ce soit le passage clandestin de frontières pour passer des livres religieux, les pèlerinages, la résistance à l’école et dans la société, les interrogatoires et de façon générale tout ce qu’a réalisé le Mouvement chrétien clandestin de Slovaquie…

« ils ont fait vaciller un régime contre l’homme autant que contre Dieu, avec pour seules armes un chapelet et un cierge à la main »

Anuncioblog : Sur quels faits historiques cette histoire se base-t-elle ?

D.R. : Comme je viens de l’expliquer, ce roman se base non seulement sur des faits historiques, mais quasiment tous les faits qu’il raconte sont historiques, à commencer par ceux du Vendredi Saint de Bratislava. J’ai simplement ajouté du liant pour faire tenir ensemble ces faits et les deux jeunes héros du roman. Car toutes les autres personnes qui apparaissent dans ce livre, à savoir les membres de ce Mouvement ont réellement existé et fait ce que rapporte ce livre. Ils portent dans ce livre leur vrai nom. Leur histoire, l’histoire de ce livre, c’est celle du Mouvement chrétien clandestin de Slovaquie, une des plus belles pages de l’Église en Europe à cette époque, dont je connais la plupart des protagonistes. L’un d’eux est devenu cardinal, un autre un des responsables du pays après la chute du communisme, mais la plupart sont restés dans un humble anonymat, alors même qu’avec les armes de la foi et de la prière ils ont fait vaciller un régime contre l’homme autant que contre Dieu quand ils ont organisé la première manifestation publique depuis 1968, avec pour seules armes un chapelet et un cierge à la main.

C’était le vendredi 25 mars 1988 date devenue journée nationale en Slovaquie et connue sous le nom de Vendredi Saint de Bratislava, c’est le titre du livre – dont les historiens nous disent qu’il a été une date majeure dans ce qui va conduire l’année suivante à l’effondrement du régime. Nos deux héros sont bien sûr au cœur de ces événements, parce que des milliers de jeunes catholiques slovaques le furent.

Anuncioblog : En quoi ces questions rejoignent-elles notre époque actuelle ?

D. R.  : On peut lire à la deuxième page du livre – l’action commence en 1987 : « A Bratislava, il ne fait alors pas bon être jeune, sauf si on est le fils ou la fille d’un membre du Parti. Les autres ? Beaucoup se résignent, et souvent rêvent de quitter le pays, d’autres cherchent dans l’alcool, la musique ou la drogue une illusoire liberté, ou à s’étourdir ; d’autres, enfin, résistent. Surtout les croyants. La situation de l’Église catholique en Tchécoslovaquie semble pourtant désespérée. Officiellement, il n’y pas de persécution antireligieuse, les églises sont ouvertes… En réalité l’État fait profession ouverte d’athéisme militant… La foi semble condamnée à court terme. Pourtant, Dieu revient, même là où on ne le l’attend pas ».

…J’aurais pu commencer, dans les mêmes termes, un roman sur nos pays d’Occident aujourd’hui : « En 2018, chez nous, il ne fait alors pas bon être jeune, sauf si on est le fils ou la fille de privilégiés. Les autres ? Beaucoup se résignent, et souvent rêvent de quitter le pays, d’autres cherchent dans l’alcool, la musique ou la drogue une illusoire liberté, ou à s’étourdir ; d’autres, enfin, résistent. Surtout les croyants. La situation de l’Église catholique semble pourtant désespérée. Officiellement, il n’y pas de persécution antireligieuse, les églises sont ouvertes… En réalité le système dominant promeut un athéisme pratique, de vivre comme si Dieu n’existait pas… La foi… semble condamnée à court terme. Pourtant, Dieu revient, même là où on ne le l’attend pas ».

Anuncioblog : Comment votre roman peut-il interpeller ceux qui cherchent Dieu ?

D.R. : Je donnerai ici la parole au cardinal Mgr Koreç, une des grandes figures de cette résistance spirituelle et son animateur avec Silvo Krcméry (tous deux ont connu les camps de concentration pour leur foi). Évêque clandestin à 27 ans, pourchassé près de 40 ans par le régime, il a publié plus de soixante livres clandestins pour susciter et nourrir la foi des jeunes croyants et des autres dans la persécution – Jean Paul II en fit un des premiers cardinaux après la chute du communisme dans son pays. Je lui ai posé lors de l’une de nos rencontres une question assez semblable à la votre : « Que pouvez-vous dire à la jeunesse de mon pays et surtout aux jeunes croyants à partir de l’expérience du votre ? ».  Sa réponse :

« Une jeunesse, élevée dans le marxisme-léninisme, dans l’athéisme, a poussé devant l’Europe et le monde ce cri : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de vérité, de liberté, de justice. » Notre expérience à nous tous c’est que l’homme restera toujours l’homme et que Dieu restera toujours dans son cœur. Les jeunes chez nous ont rejeté ce système parce que s’il apportait quelque chose dans les mains, les cœurs restaient vides. Et c’est pourquoi nos jeunes ont réclamé Dieu. Tous ne sont pas arrivés à le découvrir, mais ils l’ont cherché. Ces jeunes ont été privés de la Bible dès leur enfance et quand ils ont en trouvé une, ils ont pensé : « C’est pour moi. » Une jeune fille m’a raconté : « Dès que j’ai lu l’Évangile, j’ai découvert ce qu’aucun poème ne pouvait me donner, la vie éternelle. » Je peux dire que beaucoup de jeunes chez nous ont fait cette découverte et se sont dit : « L’homme ne vit pas seulement de pain, c’est l’Évangile qu’il nous faut ! » Ces jeunes, à Bratislava et ailleurs, ont eu le courage de descendre dans la rue non pas pour réclamer du pain, mais pour réclamer des raisons d’être. C’est un marxiste qui l’a reconnu en déclarant : « Ces jeunes protestent pour des raisons métaphysiques ». Dites-le en Occident : nous étions sans défense face à l’État, à la police, à l’appareil répressif. Ce qui s’est passé, la victoire de ce peuple, de ces jeunes, est sans équivalent dans l’histoire. Un régime totalitaire s’est effondré de l’intérieur parce que Dieu restera toujours dans les cœurs ».

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