Henri Tincq et la nouvelle évangélisation

Dans son nouveau livre, « Les catholiques » (*), Henri Tincq fait fi de la nouvelle évangélisation et de ce qu’elle représente en France à travers ses nombreux mouvements, leurs charismes propres et leur dynamisme, sans aller au-delà du cliché sociologique qui voudrait qu’elle soit seulement une mouvance particulière de l’Eglise. Un article de François Gondrand, journaliste, pour Anuncioblog.

L’auteur, spécialiste des questions religieuses au ‘Monde’, prétend présenter au grand public non pas l’Eglise catholique, mais « ses fidèles dans leur variété sociologique, d’engagement et géographique, et traiter aussi « de la confirmation ou de la rectification de quelques idées reçues. »

Il ne s’agit donc pas pour lui de faire oeuvre d’apologétique, ni d’informer en priorité les catholiques, mais plutôt de fournir à des personnes qui ne le sont pas des éléments d’information et d’appréciation qui leur font défaut, soit par ignorance, soit par préjugé.

La composition et le style de l’ouvrage obéissent aux lois de la grande vulgarisation. Les panoramas historiques sont survolés, les analyses rapides. En bon journaliste, l’auteur prend la peine d’expliquer chaque rite, institution ou terme qui risque de ne pas être bien compris.

Le plan est original par rapport à ce qu’on a pu lire auparavant sur le même sujet : « Ville » (Rome, la papauté) ; « Mémoire » (survol de l’histoire de l’Eglise, avec « ses pages d’ombre et de lumière ») ; « Pouvoir » (le gouvernement de l’Eglise) ; « Doctrine » (les dogmes) ; « Morale » ; « Rituel » ; « Tribus » (typologie des catholiques) : « Géographie » (évolution de la répartition des catholiques dans le monde) « .

Les développements donnent lieu à une confrontation entre ce que sont censés croire et pratiquer les catholiques, qu’il s’agisse des dogmes, de la morale ou des rites, avec ce qu’il est convenu d’appeler « la modernité », ou, pour ce qui concerne les premiers chapitres, avec la vision contemporaine des institutions et des vicissitudes historiques de l’Eglise. Souvent l’auteur prend le soin de remettre les jugements contemporains en perspective, en dénonçant discrètement les anachronismes qui les polluent, ou en mettant en avant un certain droit à la différence, par ailleurs fréquemment revendiqué de nos jours. Notre monde, semble-t-il dire plus d’une fois, a souvent besoin de cet affrontement avec la foi catholique.

Mais qui dit la vulgarisation dit simplification. Certains jugements n’échappent pas aux stéréotypes, parfois forcés. Ainsi, en page 152, le pouvoir pontifical actuel est présenté, sans autre forme de procès, comme abusif, quand il sanctionne ou rappelle à l’ordre des évêques ou des théologiens qualifiés bénignement de « turbulents », « indisciplinés », ou simplement « ouverts », « remuants », revendiquant seulement un « droit à la dissidence ». En aucun moment ne sont évoqués les vrais motifs des mesures prises. Or, dans les exemples cités, les actes d’indiscipline avérés et les thèses avancées ne mettaient-ils pas en péril l’unité et la foi des catholiques, avec les graves conséquences qui pouvaient en découler pour la société ?

Dans le chapitre sur les questions de morale personnelle en matière sexuelle ou matrimoniale (p. 207-237), l’auteur renonce à apporter dans chaque cas la contrepartie finale habituelle, se contentant de confronter les positions de l’Eglise aux interrogations ou aux hostilités qu’elles suscitent, et aux pratiques effectives de certains fidèles catholiques. Du coup le lecteur, à force d’entendre parler de « malentendus », de « divorces » ou de « fractures » entre l’Eglise et la société, ne sait plus très bien si c’est de l’opinion de beaucoup ou de l’opinion de l’auteur dont il s’agit.

Pour faire comprendre la réalité complexe du monde catholique, l’auteur a recours à une typologie des « tribus », ce qui a l’avantage de la clarté, mais l’inconvénient, comme toute grille d’interprétation simple, d’occulter la complexité du réel. Si, par exemple, « les fantassins » sont définis comme des catholiques sans problèmes, qui ne remettent pas en cause l’enseignement qu’ils reçoivent de l’Eglise, et même le défendent, pourquoi ne pas leur adjoindre, sur ce point, la masse appréciable des « inspirés » (les charismatiques ou les groupes de prière), ou des « silencieux » (les religieux contemplatifs) qui ne se définissent pas non plus, que l’on sache, comme contestataires (l’essentiel pour eux étant pour eux ailleurs, dans leur charisme propre) ? Et pourquoi ne pas les faire rejoindre également par bon nombre de catholiques « engagés » dans leur paroisses ou les mouvements, prêtres ou laïcs, parfaitement fidèles au pape eux aussi ? Inversement, ces « fantassins », présentés de façon un brin caricaturale comme étant tous à la recherche d’une « contre-société », ne les retrouve-t-on pas parmi les catholiques « engagés », lorsqu’ils prennent des responsabilités dans des paroisses ou des mouvements ?

Une étude plus approfondie de la réalité de l’Opus Dei, par exemple, auquel l’auteur consacre trois pages, au demeurant équilibrées, aurait été éloquente à cet égard. Si ses membres peuvent effectivement se définir comme des catholiques fidèles au magistère, ils ne se constituent pas pour autant en ghetto, ni en groupe de pression. Fidèles à tous effets des diocèses et des paroisses auxquels ils appartiennent, ils y sont présents, y prennent au besoin des responsabilités, et surtout ils amènent leurs amis et collègues à la prière et aux sacrements, contribuant ainsi pour leur part à revitaliser le tissu ecclésial. A cet égard, ils sont donc à leur manière des catholiques « engagés ». Ils se définissent d’autre part comme des « contemplatifs au milieu du monde » (donc des « silencieux » à leur manière), car leur fondateur, saint Josémaria Escriva, cet apôtre moderne de « la sanctification de la vie ordinaire » (Jean-Paul II) accordait une importance primordiale à la prière et aux sacrements. Découvrir qu’ils sont enrôlés ici dans les « fantassins » du pape, ou qu’ils défendent partout l’ordre établi le plus rigide, leur arrachera sans doute un sourire…

On pourrait multiplier d’autres exemples de ce genre, séquelles d’une classification que l’auteur a la prudence de qualifier de « sommaire .» En vérité, dans ce plaisant « jeu des sept familles » seuls « les traditionalistes », les « observants-zappeurs » (allant faire leur marché sur les divers étals de la spiritualité), les « rebelles » (les contestataires par principe) pourraient constituer des catégories homogènes, et encore !

Pourquoi taire que le double défi de l’application du Concile et du dialogue avec le monde moderne a suscité l’initiative de trois papes, Paul VI, Jean-Paul II, et actuellement, Benoît XVI ? Pour eux, la réponse a pour nom « l’évangélisation » (« la nouvelle évangélisation » pour Jean-Paul II, à peine évoquée en pages 302 et 317), et c’est par rapport à elle que se définissent désormais les catholiques. D’un côté les « traditionalistes » et les « rebelles » qui ont du mal à comprendre ce défi, et de l’autre, rassemblés dans la prière et l’action apostolique, et dans un même respect de l’Eglise, des laïcs engagés dans le monde, charismatiques ou pas, sensibles chacun à des urgences différentes, et les contemplatifs, les prêtres et les religieux dits actifs. La réforme de l’institution ecclésiale, les problématiques morales souvent mises en avant ne sont-elles pas à envisager dans cette nouvelle perspective ?

(*) Henri Tincq, Les catholiques, Grasset, Paris, 2008

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7 réflexions sur « Henri Tincq et la nouvelle évangélisation »

  1. Paulin

    Les "traditionnalistes" ne sont justement pas un groupe homogène. Il faut distinguer entre les fidèles de la FSSPX, schimastiques, et les tradis, nettement plus nombreux, fidèles à Rome. Ces derniers sont très proches des "fantassins", et il suffit de lire le blog Le Salon beige, à fond derrière Benoît XVI, pour s’en convaincre. Par ailleurs, pour la défense de la vie, de la famille, ils sont en première ligne. Connaissant un peu les jeunes fréquentant l’Opus Dei, et de manière generale les jeunes "fantassins", je peux assurer que beaucoup sont favorable à la liberalisation de la forme extraordinaire, et au pelé tradi de Chartres, à la Pentecôte, on voit beaucoup de jeunes "Paul VI", qui vont de temps en temps aux messes "tradis". A titre personnel, je prefere assister à la forme ordinaire, mais il m’arrive, comme beaucoup d’autres jeunes "fantassins", d’aller aux messes "St Pie V".
    Je pense qu’un tradi "fidèle à Rome" est plus proche d’un "fantassin" que d’un fidèle de la FSPPX.

  2. kiki

    Il n’empèche que ce livre est extrêmement intéressant et que je n’hésiterai pas à le conseiller à quelqu’un loin de la foi/ de l’Eglise pour mieux la connaitre.

    certes, il faut prendre certaines distances avec quelques opinions personnelles de l’auteur, mais c’est quand même un excellent livre.

    pour ce qui est des "catégories" de catholiques, il ne faut pas voir ces catégories comme étanches : bien sûr qu’il n’y a pas que les fantassins qui soient de bons soldats, fidèles.
    il n’empèche que la classification est très intéressante, plutôt originale. Elle a aussi le mérite de dépasser le vieux clivage vide de sens aujourd’hui : gauche-droite

  3. Jean-Baptiste Maillard

    A Paulin : Il y a une autre distinction qui permet de ne pas faire d’amalgame : les intégristes et les traditionalistes. Tous célèbrent la messe en latin, mais les intégristes, comme les fidèles de la Fraternité Saint Pie X, ne sont pas rattachés au pape et refusent la main tendue par Rome à travers le Motu Proprio. Le Salon Beige flirte parfois avec les limites, et n’aime pas faire cette distinction.

  4. Paulin

    Le Salon Beige semble croire en un retour rapide de la FSSPX dans le giron de Rome (ce que l’on ne peut que souhaiter), mais, s’il est rédigé par des tradis "fidèles à Rome", ce blog ne me parait pas "flirter parfois avec les limites".
    Ils montrent parfois une certaine réserve vis-à-vis de certaines attitudes de l’épiscopat français, mais je n’y ais jamais lu aucune critique de Benoît XVI ou de la Curie romaine. Par ailleurs, ils n’ont, à ma connaissance, jamais critiqué la messe Paul VI.

    Le terme d’"intégriste" est aussi un peu gênant. Il disqualifie d’emblée celui que l’on désigne ainsi, et ce terme renvoie, entre autres, aux poseurs de bombes islamistes. C’est cette idée : "toutes les religions ont leurs intégristes", énoncées dès que les islamistes font parler d’eux, qui est à mon sens assez néfaste au catholicisme.

  5. Jean-Baptiste Maillard

    A Paulin : autant le dire clairement, Le Salon Beige, dans ses thématiques, flirte avec l’extrême droite, et il y aurait fort à parier que certains de ses collaborateurs en soient. Cela dit, il reste intéressant, quoique souvent déprimant et parlant beaucoup plus du Motu Proprio que d’évangélisation. Parfois, j’ai envie de dire : mais où est l’espérance qui est en nous ?

    Du reste, pour moi le terme d’intégriste n’a rien de gênant, il y aussi, malheureusement, des intégristes chez ceux qui se réclament catholiques ! Si vous l’ignorez, c’est grave.

  6. fdo

    Je trouve la typologie plutôt intéressante, malgré ses limites. Il s’agit d’un idéal type, d’un découpage abstrait d’une réalité complexe. Henri Tincq arrive plutôt bien à distinguer les différents « types » de catholiques.
    @ Paulin : Les fantassins sont fidèles à l’église par leur mouvement : les scouts d’Europe sont des fantassins tradis. Mais tous les tradis ne sont pas des fantassins, ce sont plutôt des paroissiens ordinaires, des « observants » de la messe de toujours.
    Venez lire mon résumé sur mon blog : « quel genre de catholique êtes-vous ?« 

  7. olivier taupin

    sur france inter cette semaine henri tincq a fait référence à un auteur je crois qui faisait un parallèle entre les royalistes d ‘il y a 200ans et la religion catholique par rapport à la révolution et le laicisme. Sans cette appréciation, difficile de comprendre la France actuelle et je veux bien creuser. De qui s’agit-il et quel ouvrage svp

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