Résurrection 2008 à la Sorbonne : « Du scandale de la Croix au scandale de l’Eglise »

Henri de Lubac

A l’occasion de l’année Saint Paul, qui a diffusé largement la foi chrétienne à travers tout le bassin méditerranéen, diverses manifestations sont prévues à Rome et dans le monde entier du 28 juin 2008 au 29 juin 2009. A Paris, la revue Résurrection organise une conférence à la Sorbonne le 3 décembre prochain sur le thème « Du scandale de la Croix au scandale de l’Eglise », une méditation paulinienne du cardinal de Lubac. Interview du Père Michel Gitton, l’un des organisateurs.

Prêtre du diocèse de Paris, le Père Michel Gitton est en mission dans le diocèse de Meaux, où il est recteur de la Collégiale Saint-Quiriace de Provins. Né à la foi au Sacré-Coeur de Montmartre, fondateur du mouvement d’évangélisation Aïn Karem (lire ici), le Père Gitton a été l’un des premiers à relancer l’évangélisation de rue à Paris. Il est aussi l’un des fils spirituels du Père Charles, lequel avait lancé la revue Résurrection en 1956 et a beaucoup contribué à insuffler un souffle chrétien auprès de nos contemporains éloignés de Dieu.

Anuncioblog : « Du scandale de la Croix au scandale de l’Eglise » : pourquoi avoir choisi ce thème ?

Père Gitton : Il est temps de montrer qu’accepter la Croix, c’est la même difficulté qu’accepter l’Eglise. Accepter la Croix, accepter l’Eglise, cela permet de découvrir Jésus. Une telle démarche d’acceptation provoque le choc qui fait tomber les écailles de nos yeux. A une période où l’humanité se cherche, le Christ a un bonheur plus fort à nous apporter. Tout homme a besoin de découvrir Jésus, car il est fait pour lui.

Que peut apporter la réflexion du Père de Lubac ?

Le Père de Lubac (1896-1991, ndlr) entre dans la Compagnie de Jésus en 1913. Il est surtout connu comme théologien, auteur d’une ouvre immense qui a préparé et accompagné l’élaboration des textes du Concile Vatican II. On lui doit la formule souvent citée : « l’Eglise fait l’eucharistie, l’eucharistie fait l’Eglise » et de larges intuitions sur la Tradition de l’Eglise, sur les rapports entre la Nature et la Grâce, etc… Il a été pendant cinquante ans un observateur perspicace de la vie de l’Eglise.

Participant au renouveau apostolique des années 30, il perçoit alors les limites d’une formation doctrinale insuffisamment nourrie de l’Ecriture et des Pères de l’Eglise. Il s’est très tôt alarmé des dangers de la collaboration avec l’Allemagne hitlérienne dans laquelle trop de catholiques risquaient de perdre leur âme, il a ouvré avec résolution et réalisme à l’aggiornamento théologique voulu par le Bienheureux Jean XXIII, refusant de se laisser entraîner dans les dérives de l’après Concile et soulignant les exigences d’une vraie fidélité à l’Eglise. Il a souligné aussi qu’il n’y a pas besoin de choisir entre l’audace et la tradition.

Le Pape Jean-Paul II, qui l’admirait, l’ait fait cardinal en 1983. Benoît XVI a rappelé plusieurs fois la dette qu’il avait à son égard et ce que nous lui devons, notamment dans son encyclique Spe Salvi (« Sauvés par l’Espérance »). Il était aussi un personnage très humain, très accueillant pour ceux qui étaient en recherche de Dieu.

Sur le thème qui nous concerne, le Père de Lubac écrivait en 1938 : « Le mystère de l’Eglise, plus profond encore s’il est possible, est plus « difficile à croire » que le Mystère du Christ, comme celui-ci déjà était plus difficile à croire que le Mystère de Dieu » (Catholicisme, 1938).

Quel est le lien avec l’année Saint Paul ?

L’année Saint Paul est pour nous une triple occasion. D’abord celle de mesurer l’impact d’une pensée fulgurante, née de la rencontre de son expérience personnelle du Christ avec sa formation de pharisien observant et sa culture immergée dans le monde gréco-romain. C’est aussi l’occasion de mieux mesurer le retournement qui a fait d’une « secte juive rejetée » une religion universelle, tout en réévaluant la dette de Paul à l’égard de l’Eglise primitive et des premières traditions apostoliques. Enfin et surtout, c’est l’occasion de retrouver le secret d’un dynamisme évangélisateur pour le monde d’aujourd’hui.

De Lubac est lié à cet événement de plusieurs manières ; il a été témoin, avant la guerre, dans les années 30, d’une période intense au niveau de l’évangélisation grâce aux mouvements de jeunesse. Dans ce contexte, il a écrit en 1938 Catholicisme, qui a marqué beaucoup de gens. Il a montré que L’Eglise n’est pas un groupuscule mais l’Epouse vivante du Christ du Vivant. Il nous rappelle qu’elle a perdu son unité à cause du péché originel, et qu’elle peut la retrouver. Surtout, il nous dit que l’Eglise est destinée à redonner à l’homme son unité, donc aussi qu’elle doit évangéliser. Vatican II s’est nourri de cette idée, cf notamment Lumen Gentium (« Lumière du monde »).

Aujourd’hui encore, le christianisme a quelque chose à dire au monde. Au moment où l’enfouissement de la foi est encore assez présent, il y a une certaine inertie parmi nous : même ceux qui veulent évangéliser ne savent pas jusqu’où ça peut aller. comme proposer la foi catholique aux musulmans, ou même mourir en martyr. Je ne suis pas sûr que nous n’ayons pas tout surmonté ! Par exemple, pourquoi ne faudrait-il pas chercher à convertir ? Les apôtres ont commencé par cela. Respecter son interlocuteur ne veut pas dire ne pas essayer de le faire changer d’avis. D’ailleurs, si l’autre pense que je me trompe, il me rendra service en m’éclairant ; j’accepte la contre-épreuve, je cherche la vérité.

Que pensez-vous de la première annonce ?

C’est la plus importante. L’autre a une attente inscrite en lui depuis le début de son existence. Il porte le désir d’une rencontre avec son créateur, sans forcément le savoir. Il faut donc que nous croyants, nous lui apportions la source, lui qui est déshydraté. Chaque personne est faite à l’image de Dieu : l’Esprit Saint la travaille.

Saint Paul nous dit chez les Corinthiens que la prédication de la croix est difficile à énoncer, mais qu’elle provoque soit un rejet, soit un ébranlement qui peut aller jusqu’au choc salutaire. Pour l’Eglise c’est la même chose, c’est une aventure de sainteté. Dans toute famille il y a une lumière : il faut dire la réalité profonde de l’Eglise, faire découvrir que cette Eglise est humaine a des traits qui la dépasse. Cela passe donc une première annonce de nos contemporains.

Vincent Carraud animera les débats : qui est-il (1) ?

Profondément catholique, Vincent Carraud a la capacité d’aller au devant des questions d’aujourd’hui sans rien perdre de la fidélité à l’essentiel. Cet essentiel est la foi au Christ, à travers le mystère pascal : Dieu s’est donné à notre humanité pour la transfigurer de l’intérieur.

Pour Vincent Carraud, « définir l’Eglise comme mystère est plus difficile à croire que le mystère du Christ et celui de Dieu : c’est prendre acte de l’éloignement que tant de nos contemporains connaissent vis-à-vis de l’Eglise, où ils perçoivent une institution multiséculaire qui les sépare, plus qu’elle ne les rapproche de Jésus de Nazareth. ». Pour lui, la réponse du Père de Lubac mérite d’être méditée, et il veut montrer qu’elle s’inspire du paradoxe de la Croix mis en valeur par saint Paul : ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. (1 Co 1,27-29)

Pour vous, quel est le lien entre la passion du Christ et l’évangélisation ?

La passion du Christ, c’est le coeur de ce que nous annonçons. Réciproquement, pour l’apôtre, il faut qu’il accepte cette Croix. S’il franchit cette épreuve dans la foi, alors sa vie est authentique pour ceux qu’il évangélise. Il faut rentrer sérieusement dans cette nuit, voir les dos qui se tournent, ceux qui ne sont pas intéressés par Jésus, même chez nos meilleurs amis. « Seigneur, tu les veux, tous les ces êtres humains », devons-nous prier. Le mystère pascal, la Croix et l’Eglise, c’est ça le vrai scandale. Mais la force de Dieu passe pour retourner la faiblesse humaine. « La mort fait son ouvre en nous, la vie en vous en vous (2 Co 4,12) ».

Dans votre relation à Dieu, dans votre vie sacerdotale, dans votre évangélisation, qu’est-ce qui est le plus fort ?

La messe ! Comme celle que j’offrais après l’évangélisation de rue dans Paris. Pouvoir offrir à Dieu toutes ces conversations était une vraie force.

Qui est Jésus pour vous ?

C’est Lui qui est venu me prendre par la main, avec un amour tout personnel, inimaginable, une vraie aventure ! Il fallait vraiment me pousser, car pour moi communiquer n’était pas chose facile. Alors s’adresser à gens qui n’ont pas la foi dans la rue, c’était même quelque chose que je ne voulais faire qu’en dernier ressort. J’avais beaucoup de respect humain, j’avais énormément peur d’être ridicule. Mais pourtant, par la suite j’ai célébré des baptêmes !

« Du scandale de la Croix au scandale de l’Eglise », une méditation paulinienne du cardinal de Lubac.
Amphithéâtre Liard à la Sorbonne – (entrée : 17 rue de la Sorbonne Paris 5e)
3 décembre 2008 de 19h30 à 21h.


(1) Vincent Carraud est né en 1957, marié, cinq enfants, Il est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure. Actuellement il enseigne la philosophie à l’Université de Caen et il dirige l’équipe de recherche Identité et subjectivité. Il a présidé le jury d’agrégation de philosophie et a publié, outre une centaine d’articles d’histoire de la philosophie et de théologie, Pascal et la philosophie (PUF, 2e éd. 2007) ; Causa sive ratio. La raison de la cause, de Suarez à Leibniz (PUF, 2002) et Pascal : des connaissances naturelles à l’étude de l’homme (Vrin, 2007). Il a également été pendant plusieurs années rédacteur en chef de la revue Communio et occupera en 2008 la chaire Etienne Gilson à l’Institut catholique de Paris.

Encore un mot...
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2 réflexions sur « Résurrection 2008 à la Sorbonne : « Du scandale de la Croix au scandale de l’Eglise » »

  1. Jean-Baptiste Maillard

    A Julien : je pense qu’une petite conversion vous ferait le plus grand bien. Y avez-vous songé ? A quelques jours de Noël… ce serait sympathique ! (Votre commentaire, que j’ai finalement décidé de publier, renvoie vers un lien qui manque un peu de fondement tant il est provoquant). Venez donc nous rejoindre !

  2. Batelier

    Je désire m’attarder deux minutes sur l’analyse faite par Baloc dans son dernier paragraphe.Lorsque j’ai désiré me former, pour essayer de ne pas dire ou écrire des contre-vérités, je me suis inscrit au grand séminaire ( à 60 ans) pour approfondir mes connaissances sur Dieu,. J’ ai constaté que les professeurs parlaient plus de philo et de psycho que de religion. Il est vrai que les homélies de beaucoup de prêtres sont anesthésiantes et pauvres dans les arguments. Il serait peut-être nécessaire de revoir la formation pastorale des futurs jeunes prêtres et surtout de leur apprendre à travailler leurs commentaires sur l’ancien et le nouveau testament. L’enthousiasme et les convictions sont indissociables pour évangéliser..Paul avait cet enthousiasme et ces convictions pour interpeller les gentils de son époque.! Aujourd’hui, il faut prendre deux fois plus de vitamines pour arriver aux mêmes résultats. Dans ce pays, dés que vous prenez position , l’on vous taxe soit de raciste soit de fondamentaliste.

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