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L’importance d’une nouvelle évangélisation conjugale

 

Les feux rouges (film de Cédric Kahn, 2003)

La Croix du 30 décembre a publié cette tribune d’Alex et Maud Lauriot Prévost, spécialistes de l’Evangile pour le couple.

Comme le démontre clairement une étude récente rapportée par La Croix (1), nos contemporains plébiscitent à près de 80% le modèle de vie de couple et de famille que l’Église propose depuis toujours : un couple, homme et femme, s’aimant, stable et fidèle tout sa vie, avec leurs enfants. Ce modèle conjugal – pourtant si décrié ou ringardisé par la culture ambiante – répond bel et bien à des attentes existentielles profondes, comme l’enseigne depuis toujours le magistère. Or, nous savons qu’aujourd’hui, la grande majorité des couples « sérieux » ne finiront pas leur vie ensemble, ce qui sera toujours vécu comme un échec profond et très douloureux pour les conjoints au regard de toutes leurs attentes initiales. Cette situation s’aggrave et n’est pas nouvelle, mais – puisque croyants et incroyants aspirent de fait à vivre ce que l’Eglise prône – la pastorale familiale est a priori à même de répondre aux attentes des couples ou de secourir les familles en souffrance.

Or, une autre enquête (2) démontre exactement le contraire : à peine 6% de la population
reconnaît l’Église comme susceptible de lui apporter une aide en matière conjugale et familiale ! L’Eglise – et par la même, la foi et Dieu lui-même – est donc aujourd’hui quasi-disqualifiée en la matière dans notre société, alors qu’elle devrait être reconnue comme le premier artisan du modèle et du projet qu’elle défend. Malgré d’immenses trésors de générosité qui s’investissent depuis des décennies en la matière, il nous faut reconnaître lucidement que l’échec pastoral est donc particulièrement patent en ces domaines. Malheureusement, le courage du diagnostic, l’effort de réflexion et l’innovation apostolique sont encore bien maigres, comme l’illustrent les récentes conclusions de l’« Année de la Famille » et les axes de travail assignés à la pastorale familiale pour l’avenir…

Pourtant, nous sommes convaincus que cette situation n’est pas une fatalité : pour que l’Eglise puisse vraiment rejoindre nos contemporains dans ces domaines, il nous semble important qu’elle re-parte de ce contraste saisissant, et même dramatique vu l’ampleur du phénomène : d’une part, des attentes si fortes en terme de couple et de famille, et très proches de fait du modèle conjugal chrétien; d’autre part, des réalités et des vécus si douloureux ou décevants, avec tant de blessures données ou reçues, de regrets ou de remords. Un tel contraste entre aspirations et réalité avive des peurs mais aussi de grandes attentes ; il créée donc comme un « appel d’air », un champ missionnaire et évangélisateur, qui rappelle l’expérience apostolique première : « nous étions enfermés avant la Révélation » (3) esclaves de nos affectivités désordonnées, car assoiffés d’amour comme « toute la création (qui) aspire à la Révélation et gémit dans les douleurs de l’enfantement » (4) comme écrivait Saint Paul.

La mission de l’Église ne peut donc se contenter de charité et de compassion face aux
situations personnelles de détresse, ou de défense et de promotion de valeurs chrétiennes sur le couple et la famille face à une société dans une telle dérive ; sans quoi, notre pastorale continuera à récolter de si maigres résultats, et tant de conjoints iront encore à l’échec de leur projet central de vie. L’Eglise est donc appelée à annoncer, proposer et conduire de manière adaptée mais explicite à la source du dessein et du salut conjugal par une prédication apostolique nouvelle, pertinente et attractive, dont l’ambition et le contenu sont à la mesure de la situation et des enjeux. L’Eglise témoignera ainsi d’une grande espérance pour un nouveau printemps de l’amour conjugal au travers du développement d’une nouvelle évangélisation, qui doit – affirme Benoît XVI – « être
fondée sur l’Eglise domestique » car son champ missionnaire est « inséparable de la famille » et les couples chrétiens en sont des « acteurs majeurs ».

A l’occasion du futur synode d’octobre 2012, il est donc essentiel que notre pastorale
s’engage dans la nouvelle évangélisation de l’amour conjugal car « il n’ y a de salut en aucun autre » (5) que le Christ : il est le vrai et le seul libérateur du couple, de la relation amoureuse, de la sexualité et du corps. Jean-Paul II ne disait-il pas que « sans le Christ, le couple court un grave danger » ? L’Eglise doit donc davantage confesser et annoncer le Salut appliqué au mariage et à la sexualité, et rendre compte des œuvres concrètes de Salut dans des vies de couples, de familles, de jeunes : témoigner ainsi des œuvres de consolation et de guérison, de pardon et de paix, de fécondité et de vie, de libération vécue grâce au Christ. Le monde a tant besoin de voir, de toucher et d’entendre ce que Jésus-Christ peut faire pour qui se tournent vers lui.

Jean-Paul II a légué de nombreux trésors à l’Église, mais deux domaines le caractérisent : la nouvelle évangélisation et son enseignement renouvelé sur le mariage, qui – associés – forment au regard de notre expérience missionnaire depuis près de 30 ans, une sorte d’« autoroute » pour l’évangélisation, un canal missionnaire particulièrement fructueux, tant l’attente de « sauver l’amour » est forte et universelle. Sont donc réunis aujourd’hui les composants d’une véritable « bombe pastorale » pour reprendre les termes du Cardinal Angelo Scola, évoquant l’enseignement de Jean-Paul II « lorsqu’il sera vraiment compris et intégré dans l’Église », disait-il.

Benoît XVI confiait après son élection qu’il percevait combien sa mission « essentielle et
personnelle » serait de déployer « le patrimoine richissime de l’enseignement de Jean-Paul II qui n’est pas encore suffisamment assimilé par l’Église ». Le pape réalise cette mission pour laquelle il croit avoir été élu : sous l’impulsion de l’Esprit Saint, il a bel et bien allumé la mèche de la « bombe pastorale » de Jean-Paul II : la nouvelle évangélisation, et de manière toute prioritaire en matière conjugale et sexuelle.

(1) La Croix du 28/09/11
(2) Le Pèlerin du 6/10/11
(3) Ga 3, 23.
(4) Rm 8, 18-19. 2
(5) Ac 4, 1

En quoi la nouvelle évangélisation est-elle nouvelle par son ardeur ?

En créant cet automne le Conseil pontifical consacré à la nouvelle évangélisation et en annonçant la réunion d’un synode en 2012 sur ce thème, Benoît XVI place la nouvelle évangélisation à l’épicentre de la mission universelle de l’Eglise en ce début de 3ème millénaire. Voici la suite de notre série sur le thème « à quelle nouveauté la nouvelle évangélisation fait-elle référence ? ». Deuxième volet : en quoi est-elle nouvelle par son « ardeur » ?

Dans notre précédent article, nous avons détaillé les grandes lignes de la nouvelle évangélisation. Il nous semble important maintenant de préciser les trois « caractéristiques pratiques » proposées par Jean-Paul II : « une nouvelle ardeur, de nouvelles méthodes et un nouveau langage ». Elles sont de fait des interpellations personnelles qui peuvent nous aider à mieux discerner notre propre « maturité de la foi » et la « conversion radicale de notre état d’esprit » que le pape appelle de ses vœux. Nous abordons ici la première caractéristique.

Une évangélisation nouvelle par son ardeur

L’ardeur vient de « ardent », tel un feu : les disciples d’Emmaüs ont le cœur brûlant après leur rencontre du Christ, la Pentecôte et tant de passages des Actes nous illustrent le feu intérieur des disciples. Brûler d’ardeur et de zèle pour l’Evangile n’est pas le fruit d’une excitation humaine ou l’effet de drogues illicites (1), mais bien le signe que l’Esprit promis aux disciples par le Christ lui-même est bien présent et agissant avec puissance.

Un des plus grands évangélisateurs catholiques depuis cinquante ans fut le Père Emiliano Tardif : il affirmait que « brûler pour l’Evangile est un élément fondamental de l’Evangélisation », comme l’illustre la Parole de Dieu.

le zèle de ta maison me dévore dit le psalmiste (2)
– comme Pierre et Jean, nous ne pouvons taire tout ce que nous avons vu et entendu (3)
– comme Jérémie, nous avons un feu qui nous dévore les os (4) pour nous pousser à évangéliser

Le zèle, le feu, l’ardeur des missionnaires sont à la mesure du bouleversement réel qu’ont opéré dans notre vie la rencontre, la vie et l’amour du Christ : plus que des doctrines, le prédicateur doit avoir le feu d’amour de Jésus dans son cœur, et comme il ne peut garder pour lui cette expérience brûlante, il la partage avec flamme, vérité, authenticité.

Deux précisions au regard de très nombreuses expériences de par le monde :

– l’évangélisateur « nouveau » témoigne des merveilles de Dieu dans sa vie, et non ce qu’il a appris sur Dieu ; l’évangélisateur peut donc être un simple baptisé : ce n’est pas d’abord un pasteur, un professeur ou un docteur ; néanmoins, le concours de ces derniers reste indispensable pour former les missionnaires, s’assurer qu’ils confessent et attestent la vraie foi, et que leur vie se conforme peu à peu à la foi qu’ils proclament.

– l’ardeur du témoin n’est pas le fruit de caractères expansifs ou extravertis, mais avant tout le fruit de l’action de l’Esprit-Saint accueilli par ceux qui évangélisent ; c’est donc lui qui oint les missionnaires de force comme l’exprime Paul : « ma parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse, c’était une démonstration d’Esprit et de puissance (5) ». Paul VI confirme toute cette action irremplaçable de l’Esprit-Saint aujourd’hui au service de la mission : « les meilleures techniques d’évangélisation ne sauraient remplacer l’action discrète de l’Esprit Saint ; sans Lui, la plus convaincante des dialectiques est impuissante sur l’esprit des hommes car c’est Lui qui, dans le tréfonds des consciences, fait accepter et comprendre la Parole du Salut » (6), tandis que Jean-Paul II insiste sur l’impératif de « raviver en nous l’élan des Origines, en nous laissant pénétrer de l’ardeur de la prédication apostolique qui a suivi la Pentecôte » (7).

Nous voilà de nouveau interpellés par le successeur de Pierre : sommes-nous prêts à laisser agir l’Esprit en nous pour annoncer la Bonne Nouvelle ? Sommes-nous conscients du trésor que nous portons ? Comment pouvons-nous nous taire alors que tant et tant souffrent de ne pas connaitre le Christ ? Sans doute, comme nous y invite Jean-Paul II, avons-nous besoin de retrouver en nous cette présence vivante du Christ pour la porter au monde en ajoutant à notre témoignage de vie, une parole explicite : c’est la première des charités comme le dit Benoit XVI, que de dire au nom de qui et pour qui nous vivons ainsi, que de proposer la foi à tous sans distinction

Références :

(1) Quoique cela puisse en donner quelque peu l’apparence : « ils sont plein de vin doux » dit-on des disciples à la Pentecôte
(2) Ps 69
(3) Ac 4, 20
(4) Jr 1, 13
(5) 1 Co 2, 4
(6) Paul VI « L’évangélisation dans le monde moderne » § 75
(7) Jean-Paul II « Au début du nouveau millénaire » § 47

A quelle nouveauté la nouvelle évangélisation fait-elle référence ? (1/4)

Evangélisation lors du festival de Cannes avec Anuncio

Dans la suite de l’entretien d’Alex et Maud Lauriot Prévost réalisé pour Zenit, nous leur laissons la parole pour vous proposer une série de billets sur cette question de la nouvelle évangélisation, de façon plus approfondie encore. Premier volet : pourquoi s’agit-il d’une impulsion missionnaire nouvelle ?

En créant cet automne le Conseil pontifical consacré à la nouvelle évangélisation et en annonçant la réunion d’un synode en 2012 sur ce thème, Benoît XVI place la nouvelle évangélisation à l’épicentre de la mission universelle de l’Eglise en ce début de 3ème millénaire.

Une impulsion missionnaire nouvelle

Pour beaucoup, la nouvelle évangélisation reste un mystère ; elle a cependant été bien définie dans ses contours et sa substance par Jean-Paul II.

1°/ Son contenu : il est bien entendu le même depuis 2000 ans. L’Eglise et le monde ont besoin d’une nouvelle évangélisation, non d’un nouvel Evangile ! Il s’agit simplement d’annoncer d’une manière nouvelle et avant tout renouvelée, en veillant à se concentrer sur le cœur de la foi qui peut retourner des vies, toucher et attirer les cœurs des croyants et non-croyants.

2°/ Ses causes : « On doit considérer comme dépassé dans les pays d’ancienne évangélisation, la situation d’une ‘’société chrétienne’’ qui se référait explicitement aux valeurs évangéliques… Alors que l’humanité est en recherche et bien souvent malade, notre époque nécessite une impulsion missionnaire nouvelle » (1). D’où l’importance, d’être avant tout à l’écoute du vécu de nos contemporains, de ses souffrances et de ses « maladies » intérieures, de ses attentes existentielles et des voies de traverse si souvent utilisées pour compenser leur méconnaissance du Christ et de son amour pour nous.

3° / Son état d’esprit : « Il faut raviver en nous l’élan des origines, en nous laissant pénétrer de l’ardeur de la prédication apostolique qui a suivi la Pentecôte (…) avoir la même disponibilité que les apôtres pour écouter les voix de l’Esprit, le même courage pour relever les défis missionnaires » (2). D’où l’importance d’une plus grande vie dans l’Esprit des communautés chrétiennes pour vivre de cet esprit apostolique, et d’une formation à la prédication kérygmatique.

4° / Ses conditions de mise en œuvre : « Celui qui a vraiment rencontré le Christ, il ne peut le garder pour lui-même, il doit l’annoncer, au risque de devoir se poser courageusement cette question : ‘si je n’ai pas le goût de l’annoncer, l’ai-je vraiment rencontré ?’ » (3). D’où l’importance pour les catholiques de relire et de discerner dans l’Esprit-Saint comment et où le Christ nous a rencontrés, aimés et sauvés, et de ne pas se contenter de se dire chrétien ou de pratiquer la religion catholique par tradition, habitude, simple choix intellectuel ou choix de valeurs.

5° / Ses exigences ecclésiales : « La mission est le signe le plus clair de la maturité de la foi » car elle témoigne d’une « conversion radicale de son état d’esprit » tant « au niveau des personnes que des communautés. C’est en devenant missionnaire que la communauté chrétienne pourra dépasser ses divisions et ses tensions internes et retrouver son unité et la vigueur de sa foi (…) On devra apprécier la valeur des organismes, des mouvements, des paroisses et des œuvres apostoliques de l’Eglise à la lumière de l’impératif missionnaire » (4). D’où la surprenante grille de discernement que le magistère de l’Eglise propose désormais d’utiliser pour mesurer – à partir de la mise en œuvre ou non de cette dynamique personnelle et collective de la nouvelle évangélisation – la « valeur » des différentes institutions ecclésiale et la « maturité » chrétienne des baptisés.

6 °/ Son universalité : il s’agit d’un impératif qui s’adresse à tous les baptisés. « La nouvelle évangélisation est un engagement qui nous concerne tous » (Benoît XVI) car il s’agit de « susciter dans l’Eglise un nouvel esprit missionnaire qui ne saurait être réservé un groupe de ‘spécialistes’, mais qui devra engager la responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu » (5). C’est pourquoi la nouvelle évangélisation s’empare aujourd’hui progressivement de toute l’Eglise, bien au delà des seuls nouveaux mouvements (paroisses, diocèses, aumôneries, etc.) qui ont été parmi les premiers à faire jaillir toutes sortes d’initiatives missionnaires adaptées à notre génération.

7°/ Ses caractéristiques pratiques : « la nouvelle évangélisation demande à chacun une nouvelle ardeur, de nouvelles méthodes et un nouveau langage pour l’annonce et le témoignage évangéliques » (6).

Il est à noter qu’au travers de ces éléments, les papes lancent avec vigueur et de façon réitérée, à la suite de Saint Paul, un appel à « être toujours prêt à rendre compte de l’espérance qui nous habite à quiconque nous en fait la demande ». Demandons ensemble la force de l’Esprit-Saint pour que nous soyons à notre tour les témoins dont le Christ à besoin pour rassasier la soif de tous nos contemporains !

Nous allons revenir sur les trois éléments majeurs qui caractérisent la nouvelle évangélisation selon Jean Paul II: « une nouvelle ardeur, de nouvelles méthodes et un nouveau langage ».

La semaine prochaine : pourquoi s’agit-il d’une évangélisation nouvelle par son ardeur ?

Références

(1) Jean-Paul II « Au début du nouveau millénaire » § 47
(2) Idem § 3 puis 30
(3) Jean-Paul II « Au début du nouveau millénaire » idem § 40
(4) « La Mission du Christ Rédempteur » § 48 et 49
(5) Jean-Paul II « Au début du nouveau millénaire » idem § 40
(6) Jean Paul II – 25 mars 1992

La nouvelle évangélisation doit rééquilibrer annonce du kérygme et catéchèse (I/II)

Un entretien d’Alex et Maud Lauriot Prévost réalisé par nos soins pour Zenit.

En lui donnant un Conseil pontifical et en annonçant la réunion d’un synode en 2012 sur ce thème, la nouvelle évangélisation apparaît comme un défi majeur pour l’Eglise en ce début de XXIe siècle. Nous avons interrogé Alex et Maud Lauriot Prévost, couple missionnaire et formateur à la mission, acteurs de la nouvelle évangélisation en France et à l’étranger depuis près de 30 ans. Voici la première partie de cet entretien publié dans Zenit.

ZENIT – Qu’est ce qui vous a amené à découvrir la nouvelle évangélisation ?

Alex et Maud Lauriot Prévost – La découverte du renouveau charismatique et du père Daniel Ange en 1982 lors d’un grand rassemblement européen à Strasbourg fut pour nous une expérience de Pentecôte fondatrice pour notre vie. Alors que nous préparions notre mariage, Daniel-Ange nous a invité à organiser à Paris le premier rassemblement d’évangélisation de jeunes ; un an après et à l’invitation de l’Eglise, nous l’avons secondé en 1984 puis durant les trois ans de fondation de la première école internationale catholique d’évangélisation pour jeunes de 18 à 30 ans, Jeunesse-Lumière (http://www.jeunesse-lumiere.com), qui fait aujourd’hui référence en matière de formation à la nouvelle évangélisation auprès des jeunes dans l’Eglise. Depuis nous sommes investis dans un ministère d’évangélisation ou de formation à l’évangélisation auprès de jeunes ou de couples, particulièrement sur les thèmes liés à l’amour, à la sexualité, à la vie conjugale, etc. Nous sommes tous deux très fortement imprégnés par Jean-Paul II, lui qui a tellement œuvré à la fois pour le renouveau missionnaire de l’Eglise et celui de l’annonce de l’Evangile du mariage. Appartenir à la « Génération Jean-Paul II » revêt donc pour nous un sens très fort et particulier.

Quel est selon vous le rapport Jean-Paul II et de Benoît XVI avec la nouvelle évangélisation ?

Jean-Paul II a créé le concept de nouvelle évangélisation et l’a promu tout au long de son pontificat. Le cardinal Ratzinger s’est attaché à l’enraciner sur des assises théologiques et ecclésiales très solides. Tous deux très fins connaisseurs de la pensée des philosophes et des intellectuels des XIXe et XXe siècles, ils ont mesuré sans doute mieux que quiconque le contraste saisissant entre la nature du drame existentiel de l’homme contemporain et la pertinence de l’Evangile du Christ pour répondre à ce vide immense qui mine nos sociétés devenues athées. Ils discernent tous deux les réalités et les fruits missionnaires très prometteurs de ce que l’on appelle à Rome, les « Nouveaux mouvements ecclésiaux ». Ceux-ci sont devenus, depuis les années 60, des incubateurs de cette nouvelle évangélisation voulue par Jean-Paul II comme un profond renouveau missionnaire : des laboratoires d’apostolats nouveaux et très diversifiés.

Dans quelle mesure la nouvelle évangélisation plonge-t-elle ses racines dans le concile Vatican II ?

Comme plusieurs mystiques à cette époque, le pape Jean XXIII annonçait un nouveau printemps de l’Eglise à l’ouverture même du concile Vatican II et de nombreux textes conciliaires invitent à ce renouveau missionnaire. En 1975, pour les 10 ans de la clôture du concile, l’Eglise posa à nouveau des actes de portée à la fois universelle et prophétique sur ce thème : Paul VI eut le premier cette lecture des « signes des temps » en publiant l’exhortation apostolique sur « L’évangélisation du monde moderne », première ébauche de la nouvelle évangélisation sur laquelle Jean-Paul II s’appuiera constamment ; il accueillit également à la Pentecôte dans la basilique Saint Pierre les représentants du Renouveau Charismatique du monde entier en attestant que « le Renouveau est une chance pour l’Eglise ».

Le futur Benoît XVI percevait-il ces germes de renouveau spirituel et missionnaire dans l’Eglise ?

Dès les années 60, Joseph Ratzinger, jeune expert du concile et brillant théologien, a rapidement fait le lien entre cette éclosion non programmée de mouvements ecclésiaux au sein de la jeunesse catholique et la puissante vague missionnaire que ces mouvements ont suscitée. Il témoigna à de nombreuses occasions de sa perception d’une véritable « irruption de l’Esprit » durant toutes ces années, créant un puissant contraste avec la crise qui secouait en profondeur et en parallèle des pans entiers de l’institution ecclésiale ; il fit sa propre expérience auprès de communautés nouvelles et du renouveau charismatique dès le début des années 60, ce qui fut pour lui « une grâce, une joie dans son sacerdoce et aussi un grand encouragement », et lui permit d’affronter, confessa-t-il, « les grands périls de l’Eglise » de cette époque. Comme cardinal, puis pape, il témoigne régulièrement depuis, de toute sa joie d’avoir rencontré à l’époque « des jeunes touchés par la force du Saint-Esprit, affichant un grand enthousiasme, une expérience de foi vivante au cœur de l’Eglise catholique ».


Comment Joseph Ratzinger – théologien et pasteur – a-t-il interprété cette « irruption de l’Esprit » de l’époque pour reprendre son expression ?

Pour lui, la crise de 1968 marqua l’explosion du sécularisme moderne mais qui déjà minait les sociétés occidentales depuis des décennies. En contre-point de la crise sociale et existentielle majeure de la modernité, il reconnaît qu’alors « l’Esprit Saint, pour ainsi dire, prit la Parole : la foi s’éveillait chez les jeunes, sans ‘mais’ ou ‘si’, sans subterfuge ou porte de sortie, vécue dans sa totalité et comme un immense cadeau qui fait vivre ». Il fut alors convaincu que même si ces jeunes mouvements et communautés « n’attirent pas l’attention de l’opinion publique, ce qu’ils font indique l’avenir » : se dessinait là le futur de l’Eglise que nous voyons effectivement éclore de si belle manière dans le monde entier aujourd’hui.

Le cardinal Ratzinger reconnaît l’authenticité de l’expérience chrétienne de ces mouvements. Il décèle chez ces jeunes «une rencontre personnelle et profonde avec le Christ », la force et le fruit missionnaire de leur témoignage auprès « de personnes alors touchées au fond d’elles-mêmes par l’action unifiante de l’Esprit-Saint ».

Comment le pape Benoît XVI voit-il la nouvelle évangélisation ?

Au regard de sa réflexion historique et théologique, de son propre cheminement personnel et de son expérience ecclésiale, la nouvelle évangélisation est avant pour lui tout le fruit d’un profond vent de Pentecôte sur l’Eglise, un vrai don de Dieu, et non un nouveau « machin » issu d’une savante planification pastorale ! «L’humble travailleur à la vigne du Seigneur » comme il s’est défini à son élection, se voit avant tout comme intendant des grâces de Dieu, et c’est pour cela qu’il s’inscrit dans la ligne de Jean-Paul II : Benoît XVI confirma en effet peu de temps après son élection qu’il a « pour mission essentielle et personnelle de faire fructifier le trésor immense que lègue à l’Eglise » son prédécesseur. Après lui, il constate dans le monde entier que – là où les Eglises ou les communautés locales sont marquées par un rajeunissement, une dynamique d’apostolat des laïcs ou un renouveau des vocations – c’est bien le souffle puissant de l’Esprit-Saint et la mise en œuvre de la nouvelle évangélisation qui les caractérisent. Il n’a donc pas hésité pour y engager toute l’Eglise.

La nouvelle évangélisation n’est-elle pas réservée à des spécialistes de la mission ?

Jean-Paul II et Benoît XVI sont très clairs sur le caractère universel de la nouvelle évangélisation : pour le premier, il s’agit «d’un engagement qui nous concerne tous » car il s’agit de « susciter dans l’Eglise un nouvel esprit missionnaire qui ne saurait être réservé un groupe de ‘spécialistes’, mais qui devra engager la responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu » ; pour le second, « l’Eglise toute entière, doit se laisser régénérer par la force de l’Esprit Saint pour se présenter au monde contemporain et lui offrir des réponses adéquates ». Cette vision catholique, dans tous les sens du terme, se concrétise au travers des décisions prises récemment par Benoît XVI. Sur le terrain, depuis le début des années 2000, on constate que la nouvelle évangélisation conquiert progressivement l’Eglise dans toute sa diversité, bien au delà des seuls nouveaux mouvements ou du Renouveau qui l’ont vu naître. Des paroisses, diocèses, aumôneries, communautés religieuses ou mouvements plus anciens, on voit jaillir aujourd’hui toutes sortes d’initiatives missionnaires pertinentes et adaptées à cette génération.

Comment pourriez-vous définir la nouvelle évangélisation ?

La définir est effectivement important, car derrière ce concept, on met parfois tout et n’importe quoi : c’est sans doute très bien de créer un site Internet pour une paroisse, de monter un groupe de musique dans une aumônerie ou de relancer un groupe de prière du chapelet, mais ce n’est pas pour cela synonyme de nouvelle évangélisation.

Tout d’abord, l’Eglise et le monde ont besoin d’une nouvelle évangélisation, non d’un nouvel Evangile ! Il s’agit donc d’annoncer l’Evangile d’une manière nouvelle et avant tout renouvelée, en veillant à se concentrer sur le cœur de la foi qui peut retourner des vies, toucher et attirer les cœurs des croyants et non-croyants.

Jean-Paul II a lui-même précisé que la nouvelle évangélisation est une évangélisation menée dans un nouvel état d’esprit, selon des conditions de mises en œuvre précises ; elle se caractérise par « une nouvelle ardeur, de nouvelles méthodes et un nouveau langage » ; et elle recouvre des exigences ecclésiales.

Pouvez-vous préciser ce nouvel état d’esprit et ces conditions de mises en oeuvre ?

Cet état d’esprit est l’invitation à retrouver la radicalité de la foi, le zèle apostolique et spirituel des premiers temps de l’Eglise car – dit Jean-Paul II – «il faut raviver en nous l’élan des origines, en nous laissant pénétrer de l’ardeur de la prédication apostolique qui a suivi la Pentecôte et avoir la même disponibilité que les apôtres pour écouter les voix de l’Esprit, le même courage pour relever les défis missionnaires ». D’où l’importance d’une plus grande vie dans l’Esprit des communautés chrétiennes pour vivre de ce zèle apostolique, et d’une formation des baptisés à la prédication kérygmatique.

Pour ce qui est des conditions de mise en œuvre, c’est avant tout – pour celui qui ambitionne d’évangéliser – l’expérience profonde et personnelle de l’amour du Christ et de son Salut, et ce, vécu en Eglise : « celui qui a vraiment rencontré le Christ », dit encore Jean-Paul II, « ne peut le garder pour lui-même, et doit l’annoncer, au risque de devoir se poser courageusement cette question : ‘si je n’ai pas le goût de l’annoncer, l’ai-je vraiment rencontré ?’ ». D’où l’importance première pour chacun de relire et de discerner dans l’Esprit-Saint et la foi de l’Eglise comment et où le Christ nous a rencontrés, aimés et sauvés, et de ne pas se contenter de se dire chrétien ou de pratiquer la religion catholique par tradition, habitude, simple choix intellectuel ou choix de valeurs.

Pouvez-vous développer ce qui caractérise les trois « nouveautés » de la nouvelle évangélisation ? Jean-Paul II parle tout d’abord d’une « nouvelle ardeur »…

L’ardeur vient de « ardent », tel un feu : les disciples d’Emmaüs ont le cœur brûlant après leur rencontre du Christ. La Pentecôte et tant de passages des Actes nous illustrent le feu intérieur des disciples. Brûler d’ardeur et de zèle pour l’annonce de l’Evangile est donc la réponse logique des apôtres au don de l’Esprit et à la mission reçue du Christ : «nous ne pouvons taire tout ce que nous avons vu et entendu » assurent Pierre et Jean, comme en écho au cri du psaume : « le zèle de ta maison me dévore ».

Le zèle, le feu, l’ardeur des missionnaires sont à la mesure du bouleversement réel qu’ont opéré dans notre vie la rencontre, la vie et l’amour du Christ : plus que des doctrines, le prédicateur doit avoir le feu d’amour de Jésus dans son cœur, et comme il ne peut garder pour lui cette expérience brûlante, il la partage avec flamme, vérité, authenticité.

Certains chrétiens se méfient d’un trop grand enthousiasme des évangélisateurs…

Il faut bien sûr agir avec discernement et sagesse, non selon l’esprit du monde, mais celui du Christ. C’est pourquoi Benoît XVI invite les pasteurs de l’Eglise à ne pas assécher les dynamiques missionnaires par des considérations trop savantes ou distantes car beaucoup ont « laissé s’installer un esprit ‘éclairé’ et blasé qui taxe de fondamentalisme la foi et le zèle de ceux qui ont été saisis par l’Esprit-Saint ». De plus, le pape nous invite aussi à ne pas éteindre les appels de l’Esprit en ces temps nouveaux par une organisation trop rationnelle ou systématique : « n’érigez pas vos propres plans pastoraux en norme de ce qu’il est permis à l’Esprit Saint d’opérer : à cause de toute cette planification, les Eglises pourraient devenir imperméables à l’Esprit de Dieu, à sa force dont elles vivent ».

Ce zèle est-il vraiment donné à tout le monde ?

L’évangélisateur « nouveau » témoigne des merveilles « de » Dieu dans sa vie, et non ce qu’il a appris « sur » Dieu ; l’évangélisateur peut donc être un simple baptisé : ce n’est pas d’abord un pasteur, un professeur ou un docteur, même si, bien entendu, le concours de ces derniers reste indispensable pour former les missionnaires, s’assurer qu’ils confessent et attestent la vraie foi, et que leur vie se conforme peu à peu à ce qu’ils proclament.

Le zèle du témoin n’est pas le fruit de caractères expansifs ou extravertis, mais avant tout le fruit de l’action de l’Esprit-Saint accueilli par ceux qui évangélisent ; c’est donc lui qui oint les missionnaires de force comme l’exprime St Paul : «ma parole et mon message n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse, c’était une démonstration d’Esprit et de puissance ». Paul VI a d’ailleurs confirmé toute cette action irremplaçable de l’Esprit-Saint aujourd’hui au service de la mission : « les meilleures techniques d’évangélisation ne sauraient remplacer l’action discrète de l’Esprit Saint car – sans Lui – précise-t-il, la plus convaincante des dialectiques est impuissante sur l’esprit des hommes car c’est Lui qui, dans le tréfonds des consciences, fait accepter et comprendre la Parole du Salut ».

Parlez-nous de la seconde « nouveauté » missionnaire, celle de la méthode…

Cette nouveauté recouvre l’annonce du kérygme, le recours au témoignage et l’objectif de conduire à la conversion de ceux qui sont évangélisés.

Il est donc tout d’abord important de différencier au plan de la méthode le « kérygme » et la « catéchèse » comme l’ont toujours fait les chrétiens dans les premiers temps de l’Eglise, annonçant la foi dans les sociétés paganisées : le 1er est l’annonce de la personne de Jésus et de son œuvre bienfaisante dans nos vies ; le 2nd est la transmission de ce que recouvre la foi et ses conséquences. Le kérygme est à la catéchèse, ce que la naissance est à la croissance : il la précède, il lui est préalable, il en est même la condition pour que fructifie la catéchèse.

Pouvez-vous préciser leurs objectifs apostoliques respectifs ?

Le kérygme ne « donne » pas la vie, c’est Dieu qui la donne ; mais la prédication vivante du kérygme, l’attestation par le témoignage réveillent dans le cœur qui la reçoit, la puissance de vie d’enfant de Dieu inscrite en chacun de nous ; le kérygme nous conduit à désirer ou à faire fructifier le Salut du Christ donné au baptême, à le rendre efficient par la réponse de la foi et l’accueil de Jésus de Nazareth comme Fils de Dieu, comme seul et véritable Messie pour chaque homme ou femme.

La catéchèse déploie pour sa part toutes les conséquences de cet acte de foi et de vie qu’est la reconnaissance et l’accueil de la personne de Jésus ; elle recouvre ce que les Actes des Apôtres décrivent comme conséquences de cette adhésion au Christ par la foi : «ils se montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières ».

Cette distinction est-elle si importante pour l’évangélisation ?

Bien saisir cette distinction et cette chronologie donne en grande partie les clés pour comprendre la situation de sécularisation de nos sociétés et ce pourquoi tant de nos contemporains fuient nos Eglises malgré les trésors d’énergie et de générosité investis par les chrétiens et leurs pasteurs. Après 1000 ans de chrétienté, cette distinction a été malheureusement souvent oubliée : par certains côtés, notre Eglise en occident est un géant catéchétique et un nain kérygmatique. La nouvelle évangélisation va activement participer au nécessaire rééquilibrage apostolique entre ces deux volets si complémentaires de la mission apostolique de l’Eglise.

Alex et Maud Lauriot Prévost se sont mariés en 1983. Ils ont cinq enfants, sont consultants à titre professionnel, délégués épiscopaux au couple et à la famille du diocèse d’Avignon.